Hier toute la presse (ici, là, ou là…) publiait les chiffres communiqués par le SNUIPP, le syndicat majoritaire dans le primaire. Se fondant sur les fermetures de classes annoncées dans 62 départements, soit 1 168 classes, le SNUIPP obtient avec une petite règle de trois une estimation de 1 500 classes fermées à la rentrée prochaine sur l’ensemble du territoire (hors DOM).
1 500 classes en moins, c’est le résultat de la soustraction : nombre de classes qui ouvrent – nombre de classes qui ferment. Pour la première fois, on va fermer plus de classes qu’on ne va en ouvrir. Solde négatif.
Les plus grincheux vont dire : « pff… les chiffres des syndicats, on sait ce qu’ils valent ! ». Soit, sauf qu’en l’occurrence, le nombre de classes supprimées dans chaque département est fourni par le rectorat.
D’autres encore : « J’y comprends rien, ils arrêtent pas de se plaindre qu’on supprime 16 000 postes, et y a que 1 500 classes qui ferment ? Ils s’en sortent bien, en fait ! ».
Il faut d’abord remarquer que les chiffres donnés par le SNUIPP ne concernent que le primaire. Quand une classe ferme, c’est que le poste de l’instit a été supprimé. 1 500 postes d’instits devant élèves sautent donc. Je suis bien placé pour le savoir, je suis de la charrette ! Dans le secondaire aussi de nombreux postes de profs sautent, mais cela ne se traduit pas par des fermetures de classe (mais des effectifs plus chargés, des plannings différents, des matières qui ne sont plus enseignées…).
df
2007
L’origine de tout ceci se trouve dans la promesse Sarkozyenne de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Fondée sur des contraintes budgétaires, sur un solide bon sens démagogique, cette promesse de campagne est une des rares en passe d’être tenue. Le problème c’est qu’« un fonctionnaire », ça ne veut pas dire grand-chose, pas plus qu’ « un salarié du privé ». Il y a des métiers derrière tout ça, des compétences, des secteurs d’activité. Or, la France possède, de tous les pays de l’OCDE, le plus faible taux d’encadrement de ses élèves, avec 6,1 professeurs pour 100 élèves (alors que le taux de fécondité y est le plus élevé d'Europe avec 2,1 enfants, de futurs élèves, par femme !).
Peut-être qu’il aurait été malin de se demander si le « non remplacement d’un fonctionnaire sur deux » était bien judicieux dans un secteur déjà peu gâté au vu de ce qui se fait ailleurs, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire.
df
2007 – 2010
Alors les gouvernements successifs ont annoncé, chaque année, des suppressions de poste dans l’Education Nationale. En tout, depuis 2007, 66 000 postes ont été supprimés (à ces suppressions, il faut ajouter les 30 000 postes d'enseignant en moins entre 2004 et 2007, chiffres de l'INSEE). Quels postes forment ce contingent de 66 000 ?
- des postes de bureau (ce qui peut expliquer le mal qu’on a à communiquer avec notre administration !) ;
- des postes de stagiaires (d’où la réforme de la masterisation, si catastrophique mais qui permet d’économiser chaque année le salaire des stagiaires anciennement payés) ;
- des postes dans les RASED, littéralement démantelés ; pour rappel, le RASED est une structure qui s’occupe des élèves en difficulté au sein des écoles ;
- des postes de remplaçant...
Toutes ces suppressions ont été relativement indolores pour le grand public.
En revanche nous, sur le terrain, on a bien senti ces premières vagues : la suppression des postes de RASED, notamment, a fait beaucoup de mal aux élèves qui avaient le plus besoin d’être suivis de près. Et contrairement à ce que les ministres successifs veulent faire croire, ce n’est pas l’institution de l’Aide Personnalisée prise en charge par les instits (pour rendre une partie des heures gagnées par la suppression du samedi matin qu’on n’avait pas demandée) qui a contrebalancé la suppression de cette aide spécialisée pour les élèves en difficulté.
Quant aux postes de remplaçants, il a été facile de les présenter comme tenus par des « instits qui ne sont pas devant des élèves ». Insupportable, ces profs payés à rien foutre ! (et vlan la démagogie). S’ils ne sont que 70 % du temps devant les élèves, c’est donc qu’on peut supprimer 30 % de postes, selon un imbécile syllogisme. Sauf que les remplaçants, quand on n’en a plus, et ben les profs ne sont pas remplacés quand ils sont malades, accidentés, enceintes, doivent garder leur propre enfant malade, etc.
df
2011
Le budget du pays pour 2011 est annoncé fin décembre 2010, pendant les fêtes (c’est mieux les gens ont la tête à autre chose). 16 000 nouvelles suppressions de postes sont prévues, le ministre rassure en mentant expliquant que ces coupes concernent en fait "des surnombres accumulés ces dernières années" et "des enseignants qui ne sont pas devant les élèves, sauf de manière épisodique".
Saluons d'abord la dialectique ministérielle : ils ont failli dire "emplois fictifs", mais au dernier moment ils ont préféré "les surnombres accumulés ces dernières années"... Pour les enseignants épisodiquement devant les élèves, je pense que sont visés les conseillers pédagogiques (des enseignants dont le métier est d'accompagner les enseignants, pas les élèves) et les remplaçants (cf. plus haut). Quant à l'accumulation, on l'aurait crue épongée avec la suppression de près de 100 000 postes depuis 2004 !!!
(Rappelons au passage que parallèlement, ce sont les chiffres du ministère, on compte 14 000 élèves de plus en primaire à la rentrée 2010, 39 200 dans le secondaire, et on annonce + 8 900 élèves dans le primaire et + 48 500 dans le secondaire pour la rentrée 2011…)
... Les conséquences de ces suppressions commencent justement à se faire lourdement sentir depuis la rentrée 2010. Ce ne sont plus les enseignants qui se mobilisent sur des sujets internes, mais carrément les inspections qui se plaignent de ne pouvoir assurer un service public d’Education digne de ce nom dans leur circonscription.
Un peu partout, des parents se mobilisent, notamment pour demander plus de remplaçants.
Bientôt, ce sont les élus qui montent au créneau, certains maires allant jusqu’à porter plainte contre leur rectorat…
La situation se tend un peu partout dans le pays, d’autant que le ministre n’annonce rien de mieux que le recrutement de profs remplaçants par Pôle Emploi (chose déjà dénoncée ici-même il y a plusieurs mois)… Difficile de ne pas penser qu’on supprime des postes qualifiés pour les remplacer par de la main d’œuvre flexible à bon marché… Une vraie entreprise !
df
Avril 2011
Les rectorats annoncent au compte-goutte (surtout, ne pas lever l’indignation partout en même temps !) les suppressions pour la rentrée 2011. Et là, ô surprise, ce sont désormais des postes d’enseignants devant élèves qui sautent ! Le ministre avait pourtant bien dit que ce ne serait pas le cas… Sûrement voulait-il ne pas alarmer la population…
Nous voilà donc avec nos 1 500 classes qui ferment.
Jusque fin 2010, les gouvernements n’avaient touché qu’à la fameuse graisse du mammouth, et tout le monde lui trouvait meilleure mine ainsi liposucé. Plus du tout équipé pour lutter contre le froid, les avis de gros temps, sensiblement affaibli, mais bon. Ce délitage souterrain ne s’était pas traduit par des suppressions de classes puisqu’en 2009 et en 2010, le solde restait positif avec 126 et 373 ouvertures de classes sur l’ensemble du territoire.
Mais maintenant que la bête est dégraissée, on s’attaque au muscle.
Le ministre a annoncé que les suppressions continueront au même rythme en 2012 et 2013. Les fermetures de classes vont se multiplier.
df
Une classe supprimée, c’est quoi ?
Pour finir, rappelons rapidement ce que signifie une suppression de classe concrètement dans une école. Au ministère on nous dit qu’il y aura « un élève en plus par classe ». Ah bon, ça va alors ! Passer de 27 à 28 élèves par classe, c’est pas la mer à boire !
Mais ce n’est pas comme ça que ça se passe. Dans les faits, certaines écoles ne changent rien pendant que d’autres sont amputées d’une classe. Pour ces écoles-là, tout va changer : le nombre d’élève par classe va monter de 3 ou 4 unités, mais c’est un moindre mal. Surtout, la « structure pédagogique » va être modifiée. Dans cette école il y avait par exemple 2 classes de chaque niveau (CP, CE1…). Avec une classe en moins, il faudra faire plusieurs classes à doubles niveaux, par exemple CP / CE1, ou CM1 / CM2, en fonction des effectifs. Une classe à double niveau est une classe plus difficile à mener que les autres, mais surtout une classe qui demande des élèves plus disciplinés, autonomes. Par ricochet, ce sont les autres classes qui hériteront des élèves moins disciplinés et moins autonomes… Ces autres classes seront donc également plus difficiles à mener, dans des conditions d’enseignement bien moins bonnes…
Au final, c’est toute la structure de l’école qui est touchée, tous les élèves qui seront concernés.
Si ce n’est pas cette année, ce sera l’année prochaine.
df
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