Cette semaine, j’ai vraiment senti que les vacances prenaient un virage : j’ai fait mon cauchemar-d’école-qui-me-remet-direct-dedans. Le jour de la rentrée, je prenais mon rang d’élèves dans la cour, et en le montant, je m’apercevais que ma classe était non seulement très nombreuse, mais aussi qu’elle était composée d’anciens élèves des années précédentes. Ce n’est qu’au bout d’une heure de classe (oui, pas vif le garçon, moi aussi je me suis dit ça) que je me suis brutalement rendu compte que je n’avais pas du tout la classe prévue mais un triple niveau CE2 / CM1 / CM2 dont personne ne m’avait rien dit et pour lequel je n’avais rien prévu, forcément. Suée froide, et grosse engueulade à la récré dans le bureau du directeur, qui m’affirmait que tout avait été réglé au Conseil des Maîtres Extraordinaire d’hier soir minuit, j’avais qu’à être là un point c’est tout. C’est là que je me suis réveillé, palpitant, j’étais dans ma chambre, il était minuit, j’ai failli m’habiller en quatrième vitesse pour pas louper le Conseil des Maîtres. Pfiou.
Le lendemain matin, les vacances étaient autres : moins de lumière, moins de couleurs.
Depuis, j’arrête pas de penser à ma classe, au boulot de préparation qui m’attend, à l’année à venir, à mes futurs élèves, à l’école le mercredi, etc.
"Le prof, c’est vous !"
Puisque mon subconscient m’avait tiré de ma léthargie vacancière, je me suis dit, autant s’y coller sans trop tarder, de toute façon la rentrée approche, alors bon.
Avant de m’y mettre, ce matin-là, je fais quand même un détour par facebook, histoire de retarder l’entame me donner un peu d’allant. Et là, je découvre l’existence d’un jeu en ligne dont je me suis immédiatement dit qu’après six semaines de vacances, il allait m’aider à me remettre dans le bain, bien plus que si je bossais sérieusement, forcément. "Teacher story, un jeu tactical RPG où le prof c’est vous !". (Note à ceux qui vont aller sur wikipédia pour RPG : passez Rassemblement du Peuple Gabonais et Rééducation Posture Globale, la bonne réponse est Role-Playing Game, ou jeu de rôle).
L’écran d’accueil de Teacher Story me fait sourire : le design oscille entre les premiers jeux sur Atari de mon enfance et l’esthétique de Un collège fou, fou, fou. En revanche le slogan, "un jeu de survie en milieu extrême : l’éducation nationale" donne d’emblée un côté réaliste au jeu (lol).
Vaincre la bêtise
Bon, c’est parti. Je suis James Norray, visiblement je bosse en secondaire, je suis prof de maths et j’ai la 6ème C, une classe horrible si j’en juge le diablotin qui la symbolise. On m’informe : "votre objectif est de vaincre la bêtise de vos élèves pour faire progresser leur note". Ah, d’accord. Chaque élève a une barre de bêtise et des points d’ennui, qu’il faut diminuer. "L’ennui agit comme un bouclier, il faut le traverser d’abord pour toucher la bêtise". J’y avais jamais pensé. Si un élève tombe à zéro point de bêtise, sa note augmente. Il ne me reste plus qu’à utiliser mes compétences pour vaincre la bêtise de mes élèves ! Chouette, ça a l’air plus simple d’enseigner ici que dans la vraie vie ! Surtout que je n’ai que 4 élèves, ça devrait aller question gestion de classe. Plus ça va plus je me dis que je fais le bon choix, de m’attarder ici plutôt que bêtement me mettre à ma programmation. Bon, c’est vrai que c’est un peu éloigné de la réalité, si je réfléchis bien, mais je suis sûr que je vais quand même apprendre des trucs.
Pour lutter contre la bêtise, je n’ai guère que deux choix : "interroger" (quatre points pour l’élève interrogé) ou "enseigner" (deux points pour tous). Je me dis placidement qu’il vaut mieux enseigner avant d’interroger (oui, je suis professionnel dans l’éducation). Comme je me sens quand même un peu limité, je demande deux actions supplémentaires, contre 10 pièces (10 % de mon salaire, merde). Aïe, les deux nouveaux choix sont "hurler le cours" et "rappel à l’ordre". WTF ?? Mes élèves sont encore sages, j’ai pas ouvert la bouche, je vais pas me mettre à hurler, et je vais rappeler qui à l’ordre de quoi ??? Ah, je peux aussi changer deux élèves de place. Pouf pouf.
"Caractère : nul"
Je découvre qu’un clic droit me donne le profil de chaque élève. Attention, c’est long, circonstancié et nuancé : "Sébastien, caractère : nul, 3 points d’ennui, 3 points de bêtise". "Anais, caractère : casse-pied, 3 points d’ennui, 2 points de bêtise". "Alice, appliquée…", et "Louna, timide…". Je découvre aussi que je peux désigner un élève comme chouchou ! Tout ce que j’aime ! Je m’empresse aussitôt de désigner la casse-pied.
Bon, je décide d’enseigner, clic, puis d’interroger, clic. Louna perd immédiatement ses 3 points d’ennui et 1 point de bêtise. Mazette, c’est efficace ! Mais je ne peux plus ni enseigner ni interroger, ce qui est un peu con vous avouerez. A la place, d’autres actions apparaissent, dont "pointe de sagesse", que je m’empresse de refiler à la casse-pied. Anais perd direct deux points de bêtise mais on m’avertit qu’un "état négatif" l’envahit : elle discute, et "tant qu’elle discute, résiste beaucoup à l’enseignement". C’est pas grave, je vois que je peux utiliser "éponge" grâce à quoi "l’élève ciblé perd tout ses états critiques et négatifs, et deux points d’ennui". Clic sur éponge. Bam, en fait je balance l’éponge à la tronche d’ Anais, mais ça semble marcher : elle perd son état négatif de discussion et deux points d’ennui (note pour la rentrée : trouver cette éponge dans ma classe).
Comme je sais plus trop quoi faire, je "hurle le cours". Ca marche très bien avec Anais : "Cet élève a été vaincu, sa note dans cette matière a augmenté !" Youhou. Mais Alice, l’élève appliquée, me lance un « regard obsédant ». Elle a intérêt à se calmer ou je lui balance l’éponge.
Soucoupe volante
Je m’apprête à "enseigner" un petit coup quand Lou (caractère : gros dormeur) fait son entrée dans la classe (je me disais, aussi, 4 élèves…), avec un mot d’excuse m’informant qu’une soucoupe volante a gêné la circulation. Lou va s’asseoir et s’endort presque aussitôt sur sa table. Son caractère était donc finement décrit. Comme je sais plus trop quoi faire et que je peux plus enseigner (fait chier quand même d’enseigner avec tant de parcimonie) j’envoie une pointe de sagesse à Louna qui, bien sûr, progresse.
Tremblement de mon écran : le temps est écoulé, j’ai déjà joué tous mes coups ! Fin du cours, les élèves sortent. Je me retrouve en salle des maîtres, où peux corriger les exercices de mes élèves et leur enlever des demi-points de bêtise, où me promener histoire de récupérer mes points de self-control. Je ne m’attarde pas, vu que j’ai regagné 15 points de self-control en buvant un verre d’eau minérale en classe (l’arrivée de Lou m’avait semble-t-il contrarié).
L’heure de cours suivante. Routine, enseigner, points de sagesse, interroger, hurler, regard obsédant, rappel à l’ordre, éponge… Ça fait 20 minutes que je suis là et je commence à me lasser. Du coup je clique sur "action supplémentaire" : je peux débloquer des nouveautés grâce à mon premier achat de points de budget, et elles me seront acquises à vie ! Chouette, je vais pouvoir faire autre chose. Je clique, et je me retrouve… sur une plate-forme de paiement, où je peux pour 4,99 € recharger de 1500 pièces mon budget, et même 17 000 pièces pour 49,99 €, une paille quand je pense au nombre d’éponges que je vais pouvoir envoyer dans la gueule de mes élèves.
Comme je n’ai pas complètement oublié la vraie vie et mon vrai salaire, je décide de quitter le jeu. De toute façon, j’ai fait le plein de certitudes pédagogiques, et j’ai bien rentabilisé ma première journée de travail. Je suis assez fier de moi, pour tout dire.
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