En ces temps difficiles pour lui, Vincent Peillon s’est offert quelque répit en lançant hier son projet de lutte contre le décrochage, sujet consensuel s’il en est.
Le projet
Pour lutter contre le décrochage (sortie sans diplôme) de 140 000 élèves chaque année, le ministre a annoncé son « plan de raccrochage » : en s’appuyant sur les plates-formes de suivi des décrocheurs créées par son prédécesseur Luc Chatel, Peillon souhaite maximiser les possibilités de raccrochage en offrant des formations aux jeunes décrochés. L’objectif annoncé est de raccrocher 20 000 jeunes en 2013, 70 000 en 2017, contre 9 500 cette année.
Pour cela Peillon propose un accompagnement vers un retour en formation, qui pourra prendre diverses formes (alternance, retour en établissement scolaire, structures spécifiques d’accueil type école de la seconde chance, combiné service civique / formation…). Des moyens humains seront mis en œuvre, puisque chaque jeune bénéficiera du suivi d’un tuteur, et qu’un référent décrochage sera mis en place dans les établissements à fort taux de décrochage. Enfin, le projet s’appuie sur la mise en réseau des informations et des offres de formation sous la bannière « objectif formation emploi ».
Souvenons-nous, c’était une des promesses de campagne de Hollande : «offrir à tout jeune déscolarisé de 16 à 18 ans une solution de formation, d’apprentissage ou un service civique».
Des questions
La première interrogation, celle du financement, a été balayée par le ministre : "On le fait avec les moyens de l’Education nationale, la mobilisation des régions. Nous n’avons pas besoin d’argent". Ca tombe bien, y a pas d’argent. Peillon s’appuiera sur des structures partenaires comme l’Agence du Service Civique, l’Onisep, les établissements scolaires et les régions, lesquelles prennent décidément de plus en plus d’importance dans la Refondation Peillonnienne, particulièrement sur les questions de la formation et de l’orientation. Quand même, on aimerait savoir quelles sont les lignes budgétaires concernées par le projet.
Le projet présenté à la presse fait la part belle à un retour des décrocheurs en filière professionnelle. Il est indiqué que 40 000 places restent vacantes chaque année en filière pro, dans des domaines à fort besoin de recrutement (production industrielle). Or, on sait que la moitié des décrocheurs viennent précisément de la filière professionnelle ! Il faudra donc que le retour en milieu scolaire pro soit bien préparé et accompagné pour que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets…
Autre interrogation, et non des moindres : pour autant que le projet raccrochage de Peillon tienne la route, reste à savoir comment tout ceci s’incarnera sur le terrain… On sait bien, à l’éducation nationale, particulièrement nous qui travaillons au quotidien sur le terrain, qu’il y a un monde entre les intentions et leur réalisation…
Par ailleurs, on est étonné que le projet ne fasse nulle part mention du rapport à la famille des décrocheurs et ne propose aucune mesure les incluant dans le processus de raccrochage : de nombreux témoignages sont là pour attester de leur importance. De même, le projet ne semble pas prendre en compte les inégalités de sexe : les décrocheurs sont majoritairement des garçons (cf. le papier très intéressant de Jean Louis Auduc).
Enfin, notons que la presse a massivement parlé hier de lutte contre le décrochage, quand c'est essentiellement sur le versant aval de cette lutte que porte le projet Peillon : le raccrochage. En amont, où la question est plutôt "comment éviter le décrochage ?", phénomène multifactoriel, la lutte est bien plus complexe il est vrai, de la maternelle au lycée, de l'école aux familles, de l'éducatif au social...
Un rapport gênant pour Peillon
Alors au pouvoir, la droite avait quant à elle axé sa lutte contre le décrochage (outre le suivi des décrocheurs saluée hier par Peillon) sur la lutte contre l’absentéisme. C’est le mode de la sanction qui avait été retenu avec la loi Ciotti de janvier 2011, qui prévoyait la suppression des allocations familiales en cas d’absentéisme répété de l’enfant. On espérait ainsi responsabiliser les familles. La gauche, qui avait bondi à l’époque, s’est empressée de supprimer cette loi une fois au pouvoir (Pau-Langevin, en octobre), la jugeant « inefficace ».
Problème : on a appris grâce à un article de Marie-Caroline Missir la semaine dernière qu’un rapport sur la loi Ciotti, qui devait paraître en juin, dormait toujours dans les tiroirs du ministère. Missir révèle que ce rapport serait plus nuancé que la ministre de la Réussite Educative : « Dans certains cas et sur certaines tranches d'âge, la menace de la suspension des allocations familiales peut s'avérer efficace pour lutter contre l'absentéisme scolaire, relève le rapport ». Bon d’accord, c’est un peu flou.
Peillon, qui avait promis à son arrivée rue de Grenelle de rompre avec les pratiques de son prédécesseur Luc Chatel, habitué à enterrer les rapports gênants et à manipuler les données, succomberait-il aux mêmes péchés ?... Pour nuancé qu’il soit, le rapport en question ne semble pas faire l’apologie de la loi Ciotti, mais en retardant sa publication Peillon renforce l’idée qu’il renferme des choses gênantes pour lui…
Pour approfondir, on peut consulter le dossier "décrochage" du Café Pédagogique, lequel n'attend pas que Peillon en parle pour aborder la question. On y lira notamment avec grand intérêt les interviews de Philippe Goémé et Catherine Blaya, sur la manière de raccrocher et les causes du décrochage. Tous deux se rejoignent sur un point : l'importance des relations humaines et du rapport enseignant / enseigné, fondé sur cette belle notion de "bienveillance" (Goémé). Au-delà des structures et dispositifs, c'est bien à une école plus humaine qu'il faut travailler...
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