Le rapport qui juge la réforme des lycées


Deux ans après la réforme des lycées menée par Chatel, où en est sa mise en œuvre ? Quels sont les réussites, les dysfonctionnements, les pierres d’achoppement, les choses à améliorer ? Un rapport de l’Inspection Générale de l’Education Nationale vient d’être rendu sur ce sujet : rapport circonstancié et corrosif, qui n’épargne personne, des enseignants aux services académiques en passant par les chefs d’établissements et qui devrait logiquement faire grincer quelques dents. Rapport volontariste aussi, qui part du principe que la réforme est une bonne chose, que seules sont à interroger les modalités de mise en œuvre.

« Le processus de la réforme est réellement engagé dans la grande majorité des lycées visités », dit le rapport, qui ajoute « qu’on ne peut pas porter une appréciation sur la mise en œuvre de la réforme sans tenir compte de ce que ce processus demande du temps, pour l’appropriation, pour la conception, pour la mise en œuvre ». Il souligne également « l’ampleur, la rapidité et la complexité des changements attendus et les responsabilités nouvelles données tant aux chefs d’établissement qu’aux enseignants pour les réaliser ».

 

1. L’orientation et les parcours des élèves

La réforme avait pour objectif de revoir l’orientation en permettant aux élèves de changer de voie plus facilement, de choisir sa série en connaissance de cause, elle avait aussi pour but de rééquilibrer les effectifs au profit de la série L et de former plus de scientifiques grâce aux changements opérés dans les séries technologiques.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que pour l’instant, ça ne marche pas – au contraire.

Le rapport pointe notamment le manque d’information (« parcellaire et nettement insuffisante ») faite aux élèves et aux familles, particulièrement aux collèges en fin de 3ème. A ce niveau, l’information « repose sur des représentations anciennes et des interprétations » erronées, dues à une méconnaissance des filières et des changements survenus avec la réforme. Manifestement les collèges manquent eux-mêmes cruellement d’information et de formation sur ce sujet.

De fait la première préoccupation des familles pour l’orientation reste la réputation du lycée

L’étude pointe aussi le dysfonctionnement qui existe à l’endroit des conseillers d’orientation, « très inégalement associés à l’accompagnement personnalisé dans les lycées publics. Ils sont souvent absents, les élèves ne les voient que sur rendez vous et se montrent plutôt déçus par les informations délivrées. Ils font plus rarement partie de l’équipe et se montrent alors très investis, à la grande satisfaction des élèves. »

Concrètement, on note une augmentation de l’orientation vers un cursus d’enseignement général entre 2006 et 2011, que ce soit à la fin de la 3ème ou à la fin de 2nde. A ce stade on constate aussi une augmentation de l’orientation vers la prestigieuse Série S. Si les effectifs de série L augmentent aussi, le rééquilibrage attendu n’a pas eu lieu, pas plus qu’entre le général et le technologique. Pourtant l’idée de la réforme était aussi de valoriser les filières technologiques, afin de sortir plus de scientifiques (car les élèves de la série S ne font pas forcément des études scientifiques). Raté.

D’autant raté que les fameux « stages passerelles », ces stages censés favoriser les réorientations en remettant à niveau l’élève souhaitant changer de filière, ne se font que dans un sens : pour envoyer un élève vers une 1ère professionnelle.

Autre nouveauté de la réforme : les « enseignements d’exploration »,  qui devaient permettre de faire découvrir des champs disciplinaires, d’informer sur les cursus possibles, d’identifier les débouchés professionnels. Manifestement, ces enseignements d’explorations ne jouent qu’à la marge dans l’orientation des élèves. « Bien plus que les enseignements d’exploration, l’offre du lycée est déterminante pour l’orientation des élèves […]. Les lycées qui offrent une série donnée orientent dix fois plus leurs élèves vers cette série que ceux qui ne l’offrent pas. […] Tout se passe donc comme si chaque lycée fonctionnait en limitant les parcours possibles pour ses élèves à l’offre dont il dispose et qu’il connaît ».

La conséquence est une concurrence croissante entre établissements, chacun luttant pour la survie de ses filières et de ses effectifs, là où il faudrait de la mutualisation et de la mise en réseau, note le rapport.

 

2. L’accompagnement personnalisé

L’accompagnement personnalisé (AP) est une des mesures phare de la réforme, conçue comme « une réponse diversifiée aux besoins des élèves », à la fois soutien aux élèves en difficulté, approfondissement disciplinaire et aide à l’orientation.

Le rapport accorde une large place à cette question, qui suscite « désarroi et réticence chez les enseignants » et constitue le nœud principal de crispation. Le rapport décrit la diversité de comportement des enseignants vis-à-vis de cette mesure, distribuant les bons points de façon parfois caricaturale :

- Une première catégorie de profs très réticents. « L'identité professionnelle que les professeurs ont construite ou dans laquelle ils se reconnaissent ne correspond pas à ce que l'institution attend d'eux désormais. Les professeurs ont appris à transmettre une discipline, pas à enseigner. Ils déplorent le manque de cadrage de l’AP, mais dès qu’une proposition formelle émerge elle est vertement critiquée. »

- « Une autre catégorie, au contraire, se félicite de cet « espace de liberté » qui leur permet enfin d’exercer leur véritable métier de professeur. Ces professeurs font preuve d’un haut niveau de professionnalisme et d’un fort investissement. Ils parlent des élèves, de leurs compétences ; ils se remettent en cause, font preuve d’innovation et surtout mentionnent la transformation de leurs pratiques pendant leurs cours. Ils sont en demande d’accompagnement et de reconnaissance. »

- « La majorité des enseignants sont partagés, savent qu’il leur faut enseigner autrement mais expriment encore beaucoup de désarroi ». Peut-être aurait-il fallu commencer par eux, s’ils sont majoritaires...

Si le rapport insiste sur ces différentes attitudes enseignantes, c’est qu’elle détermine selon lui l’état d’esprit dans lequel sera menée, ou pas, la réflexion sur l’AP dans certains lycées. Mais dans la majorité des lycées, « on retrouve un mélange avec des enseignants partagés, mélange qui peut parfois provoquer des conflits ouverts concernant la conception du métier. Là encore, les capacités de pilotage de l’équipe de direction et l’accompagnement pédagogique des enseignants sont essentiels pour rassurer, faire progresser et calmer les conflits ».

La conséquence de tout ceci est que les élèves sont très critiques au premier abord : « l’AP ne sert à rien », « c’est du temps perdu, alors qu’on ferait mieux de faire – telle ou telle discipline », « les profs ne savent pas quoi faire, on fait n’importe quoi », « ils font semblant de nous accompagner ». Et fait, on s’aperçoit qu’une grande partie de la frustration exprimée par les élèves est liée à une méconnaissance de ce qu’est l’AP et de ses objectifs. Les enseignants ne l’ont peut-être pas suffisamment explicitée, eux-mêmes n’ayant guère été guidés dans la compréhension de ce qu’est l’AP et de ses enjeux.

 

3. Le rôle des chefs d’établissement

L’étude rappelle les chefs d’établissement à leur nouveau statut, et aux responsabilités accrues qui en découlent : « les proviseurs et leurs adjoints se sont vus confier des responsabilités déterminantes dans la mise en œuvre de la réforme. Il leur appartient, en s’appuyant sur les marges de manœuvre données aux lycées pour organiser les enseignements et répartir leurs moyens, de concevoir et impulser avec les enseignants une dynamique de projet qui permette de mettre en place les nouveaux dispositifs, en particulier l’accompagnement personnalisé ».

Revenant sur les difficultés d’une partie des enseignants à se projeter et à s’investir dans cette réforme, le rapport  note qu’ils demandent souvent « qu’on leur en explicite davantage le sens et qu’on les aide à en définir le cadre et le contenu ». Il rappelle alors opportunément que « non seulement cette réforme ne peut se faire sans ou contre les enseignants mais bien au contraire, elle requiert dans sa genèse même plus de dialogue et de partage qu’avant. La logique n’est pas d’imposer mais de convaincre et entraîner ».

Conscient des difficultés rencontrées par les équipes de direction (emplois du temps, locaux arrivant à saturation…), l’étude note clairement que le contexte de suppressions d’emplois  « pèse sur le climat et la dynamique de pilotage des établissements ».

Le rapport n’épargne pas pour autant les équipes de direction, critique à l’occasion leur gestion, le manque de coordination, d’information et d’accompagnement des équipes enseignantes ou encore le manque de lien entre les choix organisationnels et les possibilités pédagogiques qui en résultent.

Un point particulier est fait sur les lycées à formations technologiques (filières STI2D et STL, qui ont été profondément modifiées). « La mise en place de la réforme s’effectue dans un contexte souvent fragile de pertes d’effectifs depuis plusieurs années, de suppressions d’emplois, d’interrogations sur le devenir des formations, de concurrence avec d’autres établissements ». Les enseignants inquiets vivent mal cette réforme : « Ces attitudes ne peuvent pas être simplement mises sur le compte d’une résistance au changement […]. Elles témoignent de vraies difficultés et d’un vrai mal être qu’il ne faut pas sous-estimer […]. Ces enseignants demandent à être formés pour enseigner les nouveaux contenus, soulignant même que les formations reçues jusqu’alors ne les ont pas aidés ».

 

4. Le pilotage académique

« La réforme reste, dans sa dimension pédagogique, mal comprise de certains chefs d’établissement, de beaucoup de professeurs et encore plus des élèves […]. Il est donc essentiel que le discours et la communication sur la réforme favorisent l’appropriation du sens de ces changements ». Le rapport rappelle les académies à leur fonction d’impulsion et d’accompagnement des lycées ainsi qu’à leur fonction de régulation (respect du cadre national afin de parer un risque de « balkanisation du paysage »).

Une nouvelle fois, le rapport note que la politique de suppression d’emplois influe largement sur les priorités : « le poids des suppressions d’emplois est si prégnant dans la gestion de l’académie et ses relations avec les établissements que le pilotage par les moyens prévaut sur le pilotage pédagogique […]. Deux académies [sur les 7 de l’étude], confrontées à de très importantes réductions d’emploi, travaillent avant tout sur les économies possibles ».

Selon le rapport, les académies ne sont pas encore parvenues à mettre les chefs d’établissement en situation de piloter la mise en œuvre de la réforme. Elles n’ont notamment pas assez insisté sur le rôle central de l’AP. « Cette fonction d’explication du sens des dispositions pédagogiques de la réforme incombe principalement à la chaîne hiérarchique et en tout premier lieu au recteur, mais elle relève aussi des IA-IPR ».

Les chefs d’établissements, globalement satisfait du travail de présentation de la réforme par le recteur, sont « critiques sur le rôle joué dans l’accompagnement de proximité par les corps d’inspection. Les réunions sont nombreuses mais restent descendantes. Il n’existe pas de pilotage de proximité organisé autour d’échanges entre les proviseurs ». Pas d’horizontalité, d’échange, de mutualisation, comme quoi, c’est pareil à tous les étages…

Enfin, les IA-IPR, dont le rôle est sensiblement modifié avec la réforme, doivent mieux accompagner les enseignants, nous dit le rapport. « Aider les enseignants à surmonter leurs incompréhensions et leur désarroi passe nécessairement par les IA-IPR qui, seuls, ont auprès des professeurs la légitimité pour être écoutés. Or, ils se sont montrés démunis au début de la réforme ». Eux aussi…

 

CONCLUSION

Puisque le rapport s’arrête à ce stade, il nous appartient de poursuivre l’analyse en interrogeant la part de responsabilité du ministère dans la mise en œuvre de sa réforme…

A la lecture de ce rapport, il m’est apparu que du haut de la pyramide (services académiques) au bas (enseignants et élèves), tout le monde semble souffrir d’un cruel manque d’information sur la réforme, ses principales mesures, leurs conséquences au quotidien. Manque de liant et déperdition du signal dans la verticalité, manque de cohérence dans l’horizontalité, chaque étage souffrant d’un manque de dialogue, d’écoute, d’échange de pratiques, d’un déficit de mutualisation et de mise en réseau des savoir-faire.

La réforme, si elle progresse, semble également se heurter très rapidement aux réalités du terrain. Elle rencontre de grosses difficultés de mise en œuvre dès que le contexte local est problématique, ce qui est souvent le cas (conflit entre direction et enseignants, suppressions d’emplois, pertes d’effectifs et d’identité, interrogations sur le devenir de certaines filières…). Le versant pratique de la réforme semble avoir été pensé de manière très théorique, sans tenir compte des réalités et des spécificités d’un environnement qu’elle paraît méconnaître.

On n’est pas surpris non plus de voir que le contexte de réductions massives des effectifs constitue un obstacle à la mise en œuvre de la réforme, à tous les niveaux : problème administratif de répartition des moyens, pénurie et risque de déclassement à gérer pour les lycées, climat de morosité dans les équipes enseignantes, crispation généralisée… On est surpris en revanche de constater que le ministère n’a absolument pas pris en compte cette donnée : autrement dit, on a le sentiment que les diverses réformes lancées se font en totale indépendance les unes des autres, sans qu’une réflexion soit menée par les services ministériels sur leurs interrelations et l’influence des unes sur la mise en œuvre des autres.

Par ailleurs, on en peut pas passer son temps à montrer le peu de cas qu’on fait d’une profession, la stigmatisant volontiers et n’hésitant pas à l’occasion à écorner son image auprès du grand public, et lui demander dans le même temps de se montrer coopérative et ouverte à des changements aussi mal accompagnés…

 

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