« Paris, meilleure ville étudiante au monde », mais les étudiants se paupérisent

 

« Paris, meilleure ville étudiante au monde » se gargarisait le Figaro il y a quelques jours.

Waouh, formidable, fut ma première réaction, peu avant la deuxième : mais comment est-ce possible ??? On nous a tellement présenté les universités françaises en fond de classement…

 

D’autres critères

L’explication est simple : cette étude ne se préoccupe pas de la qualité des universités, mais de la qualité de vie dans les grandes villes étudiantes. Ça change tout, on en conviendra !

Prenez le classement établi par l’université de Shanghai : il s’appuie sur des critères comme le nombre de prix Nobel ou de médailles Fields parmi les anciens élèves ou les chercheurs, le nombre de chercheurs les plus cités dans leurs disciplines ou le nombre d’articles publiés dans les revues Nature, Sciences, etc. Première fac française : Orsay, 40ème, loin derrière Harvard, Stanford et autres Berkeley…

Les critères retenus par le cabinet britannique QS pour l'étude où Paris caracole en tête sont d’un autre ordre : la qualité de vie, le coût de la scolarité, la richesse et la qualité de l’offre de formation, la mixité de la population étudiante… Et s’il y a un argument de poids en faveur des universités françaises, c’est le très faible coût des frais de scolarité : autour de 200 € là où il faut débourser jusqu’à 15 000 ou 20 000 € par an pour les universités anglaises et américaines. Côté qualité de vie, Paris bénéficie à plein de sa petite taille, de son offre culturelle et de son réseau de transports en commun.

L’étude de QS met donc en avant à la fois les spécificités du système scolaire français (la quasi-gratuité, l’abondance des filières), et l’attractivité supposée d’une ville comme Paris. Après tout, tant mieux si d’autres critères que ceux, très anglo-saxons, de récompenses et de publications, sont favorisés. Le bien-être étudiant est important, fichtre.

 

Problèmes de logement, de santé, de prostitution

C’est précisément là que naît le sentiment de malaise. Car enfin, on ne peut faire abstraction des autres sources d’informations qui témoignent, elles, de l’inverse exact : il est de plus en plus difficile d’être étudiant à Paris et la population étudiante française est globalement en voie de paupérisation. Certains annoncent jusqu’à 100 000 étudiants vivant sous le seuil de pauvreté dans notre beau pays (plus de 8 millions de français, soit 14% de la population).

Le premier problème rencontré par les étudiants est le logement : 35% d’entre eux ont de réelles difficultés à se loger. L’offre va diminuant, les prix flambent, les CROUS ne parviennent à satisfaire que 10% des demandes, et leur politique actuelle est vivement critiquée par les associations étudiantes.

La hausse des prix à la consommation et des frais d’inscription (+4,1% à la dernière rentrée) grèvent des budgets déjà serrés. Malgré des jobs à temps partiel (72% des étudiants), les ressources financières ne suffisent plus à vivre correctement.

Deux domaines en pâtissent immédiatement : l’alimentation et la santé.

Côté alimentation, la situation est jugée suffisamment préoccupante pour que des projets d’épiceries solidaires telles Agorae à Lyon voient le jour : le but est de vendre aux étudiants les plus défavorisés des produits d’alimentation de première nécessité à 10% de leur prix habituels.

Côté santé, la situation est connue (Enquête Nationale sur la santé des Etudiants, mai 2011, LMDE) : devant l’augmentation des frais de médication (+7,4% depuis 2007), 34% des étudiants renoncent à se soigner (23% pour un assuré social), 92% ont recours à l’automédication, 19% ne peuvent se payer de complémentaire santé (14% en 2005), alors que 94% de la population française en a une. Depuis 2007, les taxes au titre de franchises médicales et participations forfaitaires ont augmenté de 78,15% pour les étudiants. Les associations et syndicats étudiants ont publié en 2011 un bilan catastrophique de la situation sanitaire étudiante.

Enfin, on a tous en tête ces témoignages dans toute la presse à l’automne d’étudiants racontant qu’ils devaient se prostituer pour payer leurs études. Il est impossible d’avancer un chiffre, aucune étude n’existant sur le sujet, mais les étudiants dans ce cas se comptent vraisemblablement par milliers, voire dizaines de milliers (en Angleterre, 10% de la population étudiante se prostituerait, +50% en 6 ans).

Signe que la prostitution étudiante est un vrai sujet d’inquiétude, certaines universités ont décidé de se pencher sur la question l’université, comme l’université de Poitiers, qui multiplie les actions de prévention et d’information.

 

La question des universités, décisive pour le gouvernement

Commentant l’étude QS, le ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Laurent Wauquiez, a bien entendu tiré la couverture : « Ce classement conforte la politique volontariste menée depuis cinq ans pour renforcer l'attractivité internationale des universités françaises ». C’est que dans le bilan très critiqué de la politique éducative du quinquennat, il est un sujet auquel se raccroche désespérément le gouvernement : la réforme des universités grâce à la Loi sur les Libertés et les Responsabilités des Universités (dite LRU, ou loi Pécresse). Si une quasi-unanimité négative règne sur le reste du bilan éducatif, ce sujet garde ses partisans : la réforme aurait été correctement menée, et les premiers résultats seraient encourageants. A contrario, nombreux sont les acteurs du monde universitaire à afficher leur scepticisme de la réforme, notamment en raison du manque de moyens. C’est pourtant sur l’enseignement supérieur que s’est porté l’effort budgétaire pendant 5 ans, au détriment des écoles, collèges, lycées. Sans toutefois que ces moyens soient affectés à l’amélioration de la vie quotidienne des étudiants.

Dans la difficile bataille qui attend le candidat Sarkozy sur les sujets de l’enseignement et de l’éducation, la réforme de l’enseignement supérieur est le seul joker. Il est donc décisif de crédibiliser cette réforme, dont le but initial était la remontée des universités françaises dans les classements internationaux.

Tiens, je comprends d’un coup le titre du Figaro, « Paris, meilleure ville étudiante au monde ».

 

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