Traîtres mots



2011 commence à peine et voici notre ministre de tutelle Luc Chatel qui déjà se fait remarquer de belle manière, défendant bec et ongle et avec une touchante sincérité la langue française. Résumé de l’histoire comico-langagière de ce début d’année :


Le député PS de l’Eure François Loncle a posé par écrit en octobre 2010, comme il est possible à tout ministre de la République, une question au ministre de L’Education Nationale Luc Chatel concernant la façon dont M. le Président Sarkozy s’exprime en français. Voici l’intégralité du texte.


« M. François Loncle indique à M. le ministre de l’Education Nationale que l’actuel président de la République Française semble éprouver maintes difficultés à parler la langue française. Il multiplie les fautes de langage, ignorant trop souvent la grammaire, malmenant le vocabulaire et la syntaxe, omettant les accords. Lorsqu’il s’exprime en public, le Président de la République croit judicieux de maltraiter, volontairement ou involontairement, la langue française et il s’aventure parfois à employer des termes et des formulations vulgaires. Afin de remédier sans délai à ces atteintes à la culture de notre pays et à sa réputation dans le monde, il lui demande de bien vouloir prendre toutes les dispositions nécessaires pour permettre au Président de la République de s’exprimer au niveau de dignité et de correction qu’exige sa fonction ».

Ce texte, on s’étonnera juste qu’aucun député ne l’ait écrit plus tôt.

Qu’allait donc faire Luc Chatel ?... Après tout, s’il est un garant ministériel de la qualité de la langue française, de sa défense, c’est bien le ministre de l’Education Nationale, non ? Allait-il ne pas répondre ? Ou répondre en usant de cette belle langue de bois gouvernementale ?

Ben non…

M. Luc Chatel a répondu à M. Loncle en lui envoyant mi-décembre une lettre (il a corné quelques pages de son dictionnaire, dirait-on) dont le contenu a été révélé par
Mediapart
puis relayé par Libération, et dans laquelle il explique notamment :


« Un point ne souffre pas, je pense, la contestation : en ces temps de complexité et de difficulté, le Président de la République parle clair et vrai, refusant le style amphigourique et les circonvolutions syntaxiques qui perdent l’auditeur et le citoyen. Juger de son expression en puriste, c’est donc non seulement lui intenter un injuste procès, mais aussi ignorer son sens de la proximité ». (Le document complet est ici).


Je ne sais pas vous, mais moi voilà ce que je comprends :


1. Le Président parle mal le français, mais c’est fait exprès nous dit le ministre, c’est une stratégie de communication pour se mettre au niveau de son imbécile de peuple. C’est donc certainement pour ça que ses discours, bien qu’écrits, sont émaillés de fautes. C’est aussi pour cela que son style, hyper-oralisé, est truffé de raccourcis de langage, de contractions et d’expressions « populaires ». (Pas besoin de trop se forcer, de toute façon le Président parle naturellement mal le français, il n’est qu’à écouter ses discours non préparés).


2. On est arrivé à un tel degré de mépris de la langue et du peuple, à un tel degré de cynisme, qu’il n’est plus besoin de rien cacher : non seulement on reconnaît qu’on se fout des gens mais en plus on l’écrit noir sur blanc à un élu du peuple.


3. Telle est donc la position du MINISTRE DE L’EDUCATION NATIONALE.


Encore merci donc, M. Chatel, de nous aider, enseignants, dans notre grande tâche ; merci pour cette magnifique argutie, merci de nous expliquer qu'il est désormais valorisant de parler mal, de piétiner la langue, de faire des fautes à tout bout de champ, puisque le premier personnage de l’Etat est aussi le premier à le faire ; merci de bien faire entrer dans la tête de tous et particulièrement des élèves que la communication l’emporte sur le langage, le calcul sur la correction, le cynisme sur l’effort, l’inculture sur la culture ; merci enfin pour tous les efforts que nous, enseignants, aurons à déployer au quotidien pour réparer les dégâts causés par cette attitude irresponsable.


P.S. : Pour mémoire, consultez ce best of du "parler Sarkozyen" monté par Arrêt sur Image.