L’école doit-elle éduquer aux médias ?

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Cette semaine s’est tenu à Paris un séminaire national sur l’éducation aux médias, resté quasi-confidentiel hors des cercles pédagogiques (il faut dire qu’il y avait concurrence au rayon éducation avec le baccalauréat et ses insupportables marronniers). On peut regretter le manque de traitement médiatique d’un tel sujet : une fois réaffirmée l’absolue priorité que constitue l’enseignement de la langue et des mathématiques, je considère que l’éducation aux médias est l’une des grandes priorités de l’école pour la décennie à venir.

Pourquoi une éducation aux médias ?

Parce que la place des médias aujourd’hui est sans équivalent avec ce qu’elle a pu être, parce que leur variété, leur nature multiple, leur accessibilité, leur caractère d’immédiateté, l’aspect protéiforme de leurs contenus le demandent, il s’agit de contribuer à la construction d’esprits critiques, capables d’analyse et de mise à distance, capables d’interroger ce qu’ils lisent, voient, entendent, et de se faire une opinion fine.

Au fond, rien de neuf : la construction de l’esprit critique est l’objet de tout enseignement depuis la nuit des temps. C’est le champ sur lequel s’exerce cet esprit critique qui a changé, se démultipliant : autrefois la littérature, les écrits en général, aujourd’hui les domaines de l’image et de l’audiovisuel, de l’information et de l’informatique.

La question de l’éducation aux médias n’est pas neuve en France. Un homme comme Jacques Gonnet, universitaire, fondateur du CLEMI (Centre de Liaison de l’Enseignement et des Medias d’Information) et directeur du CREDAM (Centre de Recherche sur l'Education aux Médias) travaille depuis 30 ans sur la question. Il écrivait il y a des années la nécessité « de prendre conscience de ce monde médiatique, de l’obligation vitale, individuelle et collective, d’en apprendre les données, comme on apprend à lire et à écrire, pour ne pas devenir analphabète ».

Depuis 20 ans à l’école, mais à la marge

La première pierre a été posée en 1990 avec la « Semaine de la presse à l’école » initiée par le CLEMI, une manifestation annuelle qui a plutôt bien pris en primaire. De nombreuses classes en France travaillent chaque année sur la radio et la télévision, mais c’est la presse écrite qui tient le haut du pavé. Avec des 9 – 10 ans, on peut très facilement travailler sur le traitement médiatique de l’actualité à travers les quotidiens : en faisant venir un journaliste qui raconte comment se fait un journal, ce qu’est une conférence de rédaction, comment se choisissent les sujets, comment ils se traitent ; en interrogeant différentes photographies couvrant un même événement pour confronter les regards ; en travaillant sur plusieurs articles couvrant un même fait, afin d’en comparer le traitement… Les élèves découvrent la pluralité des points de vue, apprennent à mettre ce qu’ils lisent à distance, abandonnant la croyance selon laquelle ce qui est écrit dans le journal est vrai, puisque c’est dans le journal ! Ils perçoivent aussi la difficulté à se faire une opinion, et constatent la nécessité d’interroger ce qu’on lit et de multiplier les sources.

Dans le prolongement de cette Semaine de la Presse et en partenariat avec le CLEMI, plusieurs académies (Bordeaux et Créteil en pointe) ont mis en place cette année des classes à PEM (Projet d’Education aux Médias) dans les collèges. Les classes à PEM ont pour vocation de plonger les élèves de 11 à 15 ans dans la pratique d’un média (radio, télé, presse, blog…) et ce faisant, de proposer une réflexion sur les contenus et les messages, le langage et la communication.

Hormis ces initiatives ponctuelles et isolées, et malgré son inscription au socle commun en 2006, l’éducation aux médias reste globalement absente de l’école. Je crois qu’elle risque gros : à laisser les médias hors son champ de compétences, elle laisse à penser que ceux-ci ne la concernent pas, et se pose malgré elle en institution de plus en plus coupée du réel.

Une discipline ? Plutôt de la discipline

Faut-il créer une discipline, ou intégrer l’éducation aux médias aux disciplines existantes ?

Travailler sur les médias dans les disciplines existantes est de toute façon souhaitable, indispensable, mais il faut veiller à ne pas noyer l’éducation aux médias dans un bain de français, ou de la dissoudre dans un précipité d’éducation civique, bref, il faut veiller à accorder toute sa place à la question : c’est très bien de faire une recherche internet pour un exposé d’histoire, c’est bien aussi de faire taper l’exposé sur OpenOffice, encore mieux de le présenter sous la forme d’un PowerPoint… Mais cela ne doit pas exempter d’un réel travail, à un moment ou un autre, sur ce qu’est une image,  ce qu’est une information, ce qu’est un message, sur les caractéristiques d’Internet, de la télévision, les possibilités de l’ordinateur… On a affaire à des formes de langage qui sont spécifiques et qu’il faut considérer comme telles. Au lycée, j’ai vu trop de « professeurs de cinéma », en fait des profs de français désireux de se diversifier, massacrer les films en leur appliquant une grille de lecture littéraire héritée de leur formation initiale. Un film d’Hitchcock ne s’analyse pas comme une nouvelle d’Edgar Allan Poe !...

Soyons rigoureux et considérons donc les différents médias pour ce qu’ils sont, avec leur langue propre, leur grammaire, leurs codes, leur cadre d’expression, leurs utilisations spécifiques.

La question d’une discipline consacrée se résume alors à un problème de volume horaire dédié (et il faudra alors songer à soulager d’autres matières, en primaire…).

A l’heure d’Internet, plus de temps à perdre

Car ce média a opéré des changements comme les autres n’en ont pas opérés dans notre manière de penser, de vivre, de travailler. Les adultes ont parfois tendance à penser que les enfants, parce qu’ils ont grandi avec l’ordinateur ou manient la souris avec dextérité, maîtrisent ce média. Mais maîtriser la technique ne signifie pas maîtriser la technologie, encore moins le contenu.

En lançant des 10-14 ans sur une recherche Internet simple, et tout en observant leur dextérité à taper sur un clavier, à utiliser des raccourcis écran et à naviguer dans les interfaces, j’ai observé plusieurs tendances :

1. Les élèves ne savent pas varier les entrées sur les moteurs de recherche (multiplier les occurrences, varier les termes, faire des essais pour optimiser ses chances de trouver des informations intéressantes)

2. Les élèves ne vérifient pas la pertinence de ce qu’ils lisent en considérant les sources et en les recoupant entre elles (sur une recherche sur la 2ème guerre mondiale, certains vont tomber sur des sites négationnistes et utiliser les informations sans les interroger)

3. Les élèves procèdent à d’imbéciles copier-coller qui débouchent sur des productions textuelles batardes emplies de répétitions, d’invraisemblances, de trous logiques.

Faire une recherche sur Internet est quelque chose de complexe : c’est être capable de googliser un sujet, de se repérer dans la multitude de liens proposés, leurs arborescences, d’apprécier la pertinence de contenus pas toujours à la portée des élèves, de trier les informations utiles, de les hiérarchiser, les traiter, les synthétiser, etc.

Tout ceci s’apprend, et prend du temps… Raison de plus pour s’y mettre tôt. Bien sûr on y travaille en primaire (B2i), mais cela ne suffit pas forcément.

Les réseaux sociaux

Par ailleurs, il y a la grande question des réseaux sociaux et de leur utilisation par des enfants n’ayant pas nécessairement perçu la complexité, les enjeux et les dangers de ce qui peut apparaître à certains comme une sorte jeu vidéo de société.

Il y a quelques mois, dans une école que je connais bien, un élève de 10 ans a créé un profil Facebook sous le nom d’un autre élève de l’école. Se faisant ainsi passer pour cet élève, il a ensuite envoyé un message à un professeur de l’école dont il avait trouvé le profil : message injurieux signé d’un nouveau pseudonyme, troisième niveau d’identité du gamin… Il a fallu quelques heures pour tirer au clair une affaire qui s’est terminée au commissariat avec une plainte et un rappel officiel à l’ordre. Usurpation d’identité, propos injurieux à un fonctionnaire ayant autorité… Le gamin en question savait confusément que ce qu’il faisait était « mal », mais il est tombé des nues quand il a pris conscience des conséquences de ses actes, et surtout quand il a pris connaissance des charges officiellement retenues contre lui.

Cette histoire montre encore une fois que la maîtrise technique vient très vite aux enfants mais que pour le reste, ils ont bel et bien besoin d’être éduqués. Si elle ne doit pas se substituer sur ce type de questions à l’éducation parentale, une éducation aux médias permet d’aborder tous ces problèmes avec les élèves, de les informer, de les mettre en garde, de les responsabiliser, et de leur faire prendre conscience qu’un ordinateur connecté nous place de facto au cœur de la Cité.

Freins et obstacles

Il y a en premier lieu les réticences de la communauté éducative, toutes composantes comprises : parents, enseignants, enfants tendent consciemment ou inconsciemment à penser que travailler sur la télévision, sur l’image, la photographie, l’Internet, ce n’est pas vraiment travailler. La faute à une historique culture de l’écrit typiquement française qui discrédite tout autre enseignement ou forme d’enseignement (c’est un des problèmes de l’enseignement des langues…).

Le manque d’équipement. On a mis des années à avoir un lecteur Dvd dans les écoles et la moitié des magnétoscopes encore en circulation en France doivent être dans des classes de primaire ! On rappellera aussi que la France a un faible taux d’équipement informatique : 8 ordinateurs pour 100 élèves, ce qui la place à la 14e place sur 27 en Europe (moyenne européenne : 10 pour 100) loin derrière le Luxembourg (23 pour 100).

La formation des enseignants. Les instits ne sont pas au même niveau, c’est le moins qu’on puisse dire, sur l’informatique, les nouvelles technologies, les pratiques médiatiques. Les enseignants, à moins d’avoir développé un goût personnel pour la question, ne sont globalement pas formés aux médias. La culture de l’image, notamment, reste très sommaire.

Alors il faut former. Pour ce qui est de la formation continue, de plus en plus lacunaire, on peut oublier. Reste la formation initiale. Pour être titularisé, un prof doit depuis cette année détenir le c2i2e (certificat informatique et internet de niveau 2 « enseignant »). Ce certificat est sensé valider une série de compétences à la fois techniques et pédagogiques. Sur le papier, c’est intéressant, comme était intéressante l’idée l’habilitation à enseigner une langue étrangère. Reste à voir si dans les faits le C2e2i sera plus fécond que ladite habilitation

df

Nota : sur l'étude de l'impact des technologies à l'école primaire, on peut consulter l'intéressant l'étude européenne "Steps".

df

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