Un entretien très… privé avec une mère d’élève

Hier j’avais rendez-vous avec une maman qui souhaitait faire le point sur sa fille. Il s’agit d’une bonne élève, ayant quelques facilités, agréable, plutôt travailleuse et bonne camarade. Bref, mis à part quelques bémols concernant l’expression, orale comme écrite, de la demoiselle, je n’avais que des choses positives à dire à la maman. Vous l’aurez compris, ce n’est pas à proprement parler le genre de rendez-vous qu’un enseignant redoute, de ceux qui, après une grosse journée avec les élèves, vous coûtent ou vous pèsent (quelle que soit sa déontologie et le sérieux que l’on mettra de toute façon à préparer la rencontre et à la mener, c'est entendu).

Je fais donc un exposé rapide de mon élève, son travail, son attitude, sa vie son œuvre, je note au passage ses progrès actuels, constate qu’elle a su hausser son niveau ses derniers temps en étant plus attentive en classe et en augmentant sa participation.

J’écoute ensuite avec attention la maman, sans trop intervenir pour laisser la parole aller le plus librement possible. C’est toujours intéressant pour moi d’avoir un point de vue extérieur, subjectif, un éclairage supplémentaire sur ce que vivent les élèves de la classe. J’y trouve toujours matière à enseignement sur les personnalités des uns (les élèves) et des autres (les parents).

La mère, évidemment heureuse de ce que je lui ai dit, me raconte que sa fille parle beaucoup à la maison, de la classe, de ce que l’on y fait, de son maître, avant d’aborder la question toujours très importante des amitiés et des histoires entre filles : le petit groupe de copines auquel appartient sa fille est en pleine ébullition en ce moment, et les mamans commencent à s’en mêler. Je note en moi-même qu’il faut surveiller de près l’évolution de tout ceci, maintenant que les mères sont dans la danse. Je dis juste à la maman qu’il vaut mieux laisser les enfants régler les histoires d’enfants.

Puis la conversation quitte les histoires de filles et revient sur l’enseignement et les apprentissages. La maman me demande si je prendrai la classe supérieure l’année prochaine (hum, désolé, non), me confie que j’ai très bonne presse auprès des parents, et commence à me tresser des lauriers : « ah la la M. Marboeuf, ce que vous faites c’est vraiment bien, c’est carré, on comprend où vous voulez en venir, les élèves vous adorent et comprennent avec vous, bla bla bla, mais vous leur donnez beaucoup de devoirs tout de même, mais bon c’est bien, et puis c’est intéressant ce que vous faites en sciences, ah la la… ».

(Je sais, j’ai l’air de me lancer des fleurs, mais vous allez comprendre pourquoi il me faut vous dire tout ceci. Et puis flûte, pour une fois qu’on dit du bien des instits, laissez dire la dame !).

« … Vous êtes très organisé [oui c’est mieux vu le boulot qu’on a], et puis, dites donc vous les faites bosser, hein ! [je suis là pour ça en effet], et aussi, les évaluations et les livrets sont vraiment très clairs [c’est un peu le but madame]… »

Elle fait une pause, cherche ses mots, comme pour monter d’un cran dans le superlatif, à la recherche du compliment ultime, qui traduira tout le bien qu’elle pense de moi. Voilà ce qui sort :

« …Non, vraiment, vous avez un profil d’école privée ! ».

?

?

Je l’ai juste relancée ce qu’il fallait pour qu’elle développe, il fallait que je comprenne ce qu’elle voulait dire.

« C’est vrai, vous êtes dévoué, humain, vous vous intéressez aux élèves et vous les connaissez bien… Vous savez dire ce qu’il faut pour chaque élève… Enfin moi je dis ça, mais je n’ai jamais mis mes enfants dans le privé donc je ne connais pas en fait. Ce sont des amis qui ont leurs enfants dans le privé qui m’ont dit ça ».

J’ai hésité, pour ma réponse.

J’ai spontanément pensé à « ben pourquoi vous ne mettez pas vos enfants dans le privé, alors ? », mais après deux secondes de réflexion, je lui ai dit ceci :

« Je vous propose de dire partout autour de vous ce que vous pensez de moi. Comme ça, ça équilibrera. Et les gens ayant des enfants dans le privé se diront en vous entendant : quelle chance ! ».

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