Ces derniers jours je suis tombé sur plusieurs articles intéressants que je vous recommande chaudement (suivez les liens). Au menu : la nouvelle formation des instits et ses conséquences, et la méthode Chatel visant à « acheter les consciences ».
Le Café Pédagogique fait le point sur la masterisation dans un excellent dossier. Pour mémoire, la masterisation est le nom donné à la réforme de la formation des enseignants initiée en juin 2008 sans aucune concertation : terminé les IUFM, place à un diplôme universitaire à bac +5 (contre bac +4 auparavant), le Master. Concrètement, les apprentis profs doivent désormais quasiment se passer de formation initiale pratique : ils sont directement jetés dans la fosse aux lions (voir un récent billet de l’instit’humeurs, Mon voisin remplaçant). Mais pour l’Etat, c’est le salaire d’une année de 16 000 postes d’économisé.
Dans son édito, François Jarraud souligne un effet inquiétant des dysfonctionnements et souffrances générés par la masterisation : l’effondrement du nombre de candidats aux concours (en gros baisse de moitié), ainsi que la diminution des inscriptions en master (55 % du volume habituel). Dans le secondaire, le nombre de postes ouverts sur certaines matières est supérieur au nombre d’inscrits ! « En voulant élever la qualification des enseignants, le ministère s'est mis dans la situation de transformer un concours exigeant en un simple examen, le nombre de candidats correspondant à peu près au nombre de postes dans plusieurs disciplines ». Bien joué.
Autre effet de la masterisation, le rétrécissement sociologique du profil des candidats : « Aujourd'hui l'accès au métier est barré aux enfants des familles populaires par l'allongement de la durée des études. Pour les enfants des familles favorisées, les perspectives professionnelles sont dérisoires par rapport à l'investissement que représente le master et aux perspectives qu'il ouvre ». Et Jarraud de conclure avec pertinence : « Si on veut revenir sur l'échec de la masterisation, il ne suffira pas d'améliorer le cursus de formation. Il faudra aussi se décider à donner aux enseignants des salaires et des conditions de travail de cadre ».
En écho à ce dossier, on pourra aller consulter le blog de Didier Desponds, qui précise les chiffres de la baisse du nombre de candidats. Cette année « 21 000 étudiants ont passé les épreuves dans le second degré contre 38 249 lors de la précédente session ; ils étaient 18 000 dans le premier degré, contre 34 952 précédemment. Curieux, il s'agit pourtant d'exercer un métier ne présentant que des avantages et un temps conséquent de vacances... Cette situation peut résulter de la baisse tendancielle des postes offerts au concours : en 2011, seulement 3 000 postes ouverts dans l'enseignement primaire contre 6 500 lors de la session précédente, 8 500 dans le secondaire contre un peu plus de 10 000 ».
Desponds rappelle au passage que la masterisation devait permettre « l'élévation du niveau de recrutement et une amélioration de la qualité de la formation » (mazette !). Alors qu'en fait, la formation a juste été remplacée par un diplôme…
« Diviser le mammouth pour mieux le dégraisser ». C’est ainsi que Marine Chanel décrit la méthode Chatel dans Charlie Hebdo du 02/02/2011. La journaliste rappelle d’abord avec ironie ce qui est demandé au ministre sur le mode oral de l’ENA : « Vous êtes ministre de l’Education Nationale et vous venez d’annoncer 16 000 suppressions de postes. Comment vous y prenez-vous pour faire passer cette mesure sans provoquer la rébellion de vos administrés ? Vous avez droit à une feuille, un crayon et deux annonces politiques. Attention : chaque journée de manifestation sera décomptée de votre note finale ».
Annonce 1 : la prime au mérite accordée aux recteurs (jusqu’à 22 000 €, tout de même), une carotte incitant ces derniers à se montrer de bons préfets zélés de l’Education. Le ministre s’assure ainsi un ardent soutien dans sa politique de suppression de postes.
Annonce 2 : la prime aux résultats pour les chefs d’établissements (secondaire donc), chargés d’organiser la Dotation Horaire Globale, sur laquelle ils peuvent jouer pour supprimer des postes. Cette « prime à la servilité », elle aussi créée par Chatel afin de s’adjoindre des relais plus « efficaces », a pour conséquence directe la division au sein des établissements. 6 000 €, dit un prof, « le prix du faire semblant » des chefs d’établissement, qui se coupent de leur équipe… (1)
Heureusement, certains chefs d’établissements ne s’en laissent pas compter : ainsi Michel Ascher, qui a officiellement rendu ses Palmes Académiques (plus haute distinction de l’Education) pour protester contre les suppressions de poste et exprimer sa solidarité avec les enseignants.
Dans sa lettre à Luc Chatel, Michel Ascher écrit notamment :
« Rétribuer un représentant de l’Etat sur sa capacité à détruire encore plus le service public d’Education est un acte qui vous déshonore totalement. Voilà pourquoi j’ai décidé de vous renvoyer mes diplômes de Chevalier et d’Officier des Palmes Académiques. Par votre mépris et votre cynisme vous humiliez tous les personnels de l’Education Nationale qui n’en peuvent plus de devoir accomplir leur mission dans des conditions que votre politique à très court terme rend de plus en plus déplorable ».
25 Palmes Académiques auraient ainsi été rendues depuis celles de Michel Ascher.
Un peu comme si les préfets se mettaient à rendre leur légion d’honneur pour désavouer la politique du gouvernement.
(1) Cette logique de prime arrive en primaire, puisque les profs chargés de faire passer les évaluations nationales en CE1 et CM2 gagnent pour cette peine, réelle certes, mais pas si terrible que ça, 400 € : le prix du silence pour des évaluations qu’ils s’accordent à trouver peu adaptées et inégalitaires ?