Fiona : du verdict au lynchage

Voilà, c'est fini. A l'issue de deux semaines de débats difficiles, la Cour d'assises du Puy de Dôme a rendu hier soir son verdict à l'égard de Mme Cécile Bourgeon, mère de la petite Fiona, et de son ancien compagnon M. Berkane Makhlouf, accusés de coups mortels sur l'enfant ainsi que de plusieurs délits connexes (non-assistance à personne en danger, recel de cadavre, modification de scène de crime et dénonciation mensongère de crime ou délit).

Cécile Bourgeon, mère de Fiona, au tribunal de Riom le 5 septembre.

Au bout de cinq heures de délibéré, M. Makhlouf a été jugé coupable du crime de coups mortels (violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, avec circonstances aggravantes liées à sa qualité de personne ayant autorité envers Fiona et à l'âge de la victime) et condamné à la peine de vingt ans de réclusion criminelle, assortie aux deux tiers d'une période de sûreté.

Mme Bourgeon, quant à elle, a été acquittée du crime de coups mortels et condamnée, pour les quatre délits qui lui restaient reprochés, à la peine de cinq ans d'emprisonnement, la déchéance de l'autorité parentale sur ses deux autres enfants mineurs étant en outre prononcée à son égard. Notons au passage que cette mesure n'aurait nullement pu être prononcée à l'encontre de M. Makhlouf, celui-ci n'ayant pas commis de violences à l'encontre de son propre enfant.

La réaction du public qui assistait à l'audience ne s'est pas fait attendre : crachats, huées, hurlements, larmes, jusqu'à l'extérieur du palais de justice, où la foule s'était rassemblée pour attendre le passage des fourgons qui ramenaient les condamnés dans leur établissement pénitentiaire. Des mouvements d'indignation propagés sur divers réseaux sociaux ont suivi, appelant au rétablissement de la peine de mort et dénonçant le laxisme de la Cour d'assises envers une mère qui avait tué son enfant. De multiples mises en parallèle avec le refus de libération prononcé à l'égard de Mme Sauvage cette semaine ont été relayées (bien que les deux affaires n'aient strictement rien en commun), afin de souligner l'incohérence supposée d'une justice prompte à broyer des victimes et à laisser des tueurs s'en tirer à bon compte. Une pétition a même fait son apparition en ligne, dans le but d'obtenir la condamnation de Mme Bourgeon à la même peine que M. Makhlouf.

Sauf que l'on ne peut que rappeler ici que la Cour d'assises a considéré que Mme Bourgeon n'avait pas pris part à la mort de Fiona, la responsabilité de M. Makhlouf dans le décès de l'enfant étant seule retenue. La juridiction criminelle a clairement précisé, dans la motivation de son arrêt, qu'il n'y avait contre la mère "qu'un seul élément à charge : la parole tardive et variable de Berkane Makhlouf". Au regard de cette motivation, elle a logiquement été acquittée du crime de coups mortels. Elle devra en revanche effectuer une peine de cinq années d'emprisonnement pour avoir omis de porter secours à sa fille mourante, pour avoir participé à la dissimulation du cadavre de l'enfant, pour avoir modifié la scène de crime et pour avoir enfin dénoncé aux autorités de police l'enlèvement imaginaire de Fiona, entraînant des recherches plusieurs semaines durant avant que le décès de la fillette ne soit finalement révélé.

Cette peine de cinq années correspond à la sanction maximale prévue par le code pénal pour ces délits. Affirmer que Mme Bourgeon n'a écopé que d'une peine de cinq ans de prison pour avoir tué sa fille va à l'encontre de la vérité judiciaire reconnue par la Cour d'assises, laquelle n'a d'ailleurs pas suivi les réquisitions de l'avocat général qui avait demandé quelques heures plus tôt la peine (également maximale) de trente ans de réclusion criminelle à l'égard des deux accusés, estimant la responsabilité de la mère de Fiona ("la patronne", ainsi qu'il la qualifiait) aussi engagée que celle de M. Makhlouf.

La Cour d'assises, après avoir examiné en détail et longuement les éléments à charge et à décharge durant les dix journées de ce procès criminel marqué par la pauvreté des preuves matérielles et l'impossibilité de retrouver, pendant l'instruction du dossier, le corps de la victime (ce qui ne pouvait que créer un espace de doute quant aux causes et aux circonstances de sa mort), a souverainement apprécié la valeur des différentes thèses qui lui étaient présentées. Entre celle des coups mortels conjointement assénés par le couple, celle de l'ingestion accidentelle de substances toxiques (stupéfiants) par l'enfant et celle des violences infligées par M. Makhlouf sans que Mme Bourgeon ne tente de l'en empêcher, la Cour a choisi cette dernière, échappant manifestement à l'influence de "la rue" évoquée par l'avocat général. Elle en a conclu que Mme Bourgeon n'avait pas directement violenté sa fille ou que, du moins, un doute existait sur ce point, doute qui ne peut légalement que bénéficier à l'accusé(e).

M. Makhlouf a évoqué son intention de relever appel de sa condamnation. Il comparaîtra ainsi, avec Mme Bourgeon (et vraisemblablement détenus tous les deux), devant une seconde Cour d'assises. D'ici-là, nous qui n'avons jamais eu accès au dossier, à quel titre pourrions-nous affirmer que leur première condamnation était injuste ?