Mardi prochain s’ouvrira le troisième (et dernier ?) procès dit d’Outreau qui verra M. Daniel Legrand fils comparaître devant la Cour d’assises des mineurs de Rennes. Une nouvelle audience peut surprendre voire choquer, tant de temps après la tenue de deux procès en 2004 et 2005, qui ont en définitive abouti à l’acquittement de treize des dix-sept accusés dont M. Legrand.
Or cet acquittement ne concerne que les actes initialement supposés survenus durant la période postérieure au 15 juillet 1999, date de sa majorité, alors même qu’il était poursuivi pour des faits commis de 1997 à 2000. Pour cette période antérieure à 1999 durant laquelle il était mineur, seule une Cour d’assises des mineurs composée d’un Président, de deux juges des enfants et de jurés est habilitée à juger M. Legrand.
Juger de tels faits seize ans après leur date de commission supposée peut paraître aberrant, d’autant qu’à la suite de son acquittement en qualité de majeur pour des actes identiques, M. Legrand avait reçu les excuses de la République par le biais du Président J. Chirac et du ministre de la Justice, avant d’être entendu par la commission parlementaire désignée pour enquêter sur ce qu’il est devenu courant d’appeler « le fiasco judiciaire d’Outreau ». A la même époque, selon les déclarations de Me Dupond-Moretti, son avocat, le Procureur général près la Cour d’appel avait assuré à M. Legrand que son procès pour les faits qui lui étaient reprochés en tant que mineur n’aurait jamais lieu dans la mesure où ce magistrat ne fixerait pas d’audience à cet effet, ce qui permettrait l’acquisition de la prescription de l’action publique à l’issue d’un délai de dix ans (soit en octobre 2013).
Mais en juin 2013, l’association Innocence en danger (IED), qui n’était pas partie civile aux deux premiers procès, soutenue par le syndicat FO-magistrats, a fait parvenir un courrier au Procureur général près la Cour d’appel de Douai, sollicitant que la procédure soit poursuivie concernant M. Legrand et que celui-ci comparaisse devant la Cour d’assises. C’est dans ces conditions que le Procureur général a relancé la procédure, demandant à la Cour de cassation de faire juger ce dossier dans le ressort d’une autre Cour d’appel.
C’est la raison pour laquelle M. Legrand sera à nouveau jugé par une Cour d’assises, à Rennes cette fois-ci, dans le cadre d’un procès dont il est prévu qu’il dure trois semaines.
Fallait-il un nouveau procès pour ces faits nonobstant l’acquittement prononcé en 2005 ? En simple spectatrice extérieure de cette procédure, n’ayant à aucun moment eu accès au dossier, je dis oui.
S’il ne revêt qu’un seul aspect positif (au-delà du respect de la loi, dont vous aurez compris qu’il me tient un peu à cœur), ce sera celui de mettre un point final (sous réserve d’appel, évidemment) clair et net à cette affaire qui n’en finit pas de traîner. S’il est une nouvelle fois acquitté, personne ne pourra plus mettre en doute l’innocence de M. Legrand, ni évoquer le bénéfice de l’inertie ou de l’indulgence d’une justice honteuse d’avoir pataugé et trop contente de laisser un coupable potentiel s’en tirer à bon compte en échange de sa propre tranquillité. Un acquittement n’est pas une aberration judiciaire. S’il est condamné, ce sera parce que la Cour d’assises des mineurs, qui motivera son arrêt, aura trouvé des preuves solides à cette fin dans le dossier. Dans les deux cas, les parties civiles auront été entendues, conformément à leur demande.
Laisser l’action publique se prescrire alors que le renvoi de M. Legrand avait été décidé à l’issue de l’instruction judiciaire reviendrait à balayer sous le tapis les restes d’une affaire qui mérite au moins d’être close proprement, conformément à la loi, même si cela ne satisfera vraisemblablement personne. Un procès criminel est éprouvant pour l’accusé comme pour les parties civiles, un verdict ne satisfait, au mieux que l’un ou les autres, et plus souvent ni l’un ni les autres.
Pourquoi avoir laissé tant de temps s’écouler avant de juger de nouveau M. Legrand ? Je n’en sais rien. Je n’ai aucune raison de douter de la parole de Me Dupond-Moretti lorsqu’il affirme avoir reçu l’engagement du Procureur général de l’époque de ne pas audiencer ce dossier. Mais les Procureurs généraux, comme les détenteurs du pouvoir exécutif, se suivent et ne se ressemblent pas. On évoque l’idée selon laquelle l’institution judiciaire avait été trop ébranlée par le séisme des deux premiers procès pour oser boucler la boucle dans la foulée. J’aurais au contraire tendance à penser que quitte à boire la coupe jusqu’à la lie, autant le faire rapidement que laisser traîner les choses.
M. Legrand peut-il être condamné à l’issue de ce nouveau procès, bien qu'il ait été acquitté par la Cour d'assises devant laquelle il a comparu en qualité d'accusé majeur ? Oui, car la Cour d’assises des mineurs n’a pas à se préoccuper des deux précédents verdicts et peut le juger coupable comme innocent, selon les éléments qui lui seront présentés. On aurait pu estimer judicieux de faire juger ce dossier par une seule et même juridiction en première instance puis en appel, seule façon de garantir la cohérence des décisions. Il eût fallu pour cela renvoyer dès le début l’ensemble des accusés devant une Cour d’assises des mineurs en tenant précisément compte de la minorité de M. Legrand. Il semble que cela n’ait pas été décidé afin d’éviter le jugement à huis-clos de cette affaire, les audiences de la Cour d’assises des mineurs n’étant pas publiques. Il y a de quoi s’en mordre les doigts aujourd’hui.
J’ai d’ailleurs une pensée pour ces jurés qui seront amenés à siéger dès mardi, pour qui il sera bien difficile de s’extraire des nouveaux remous médiatiques du « procès Outreau 3 » comme de faire abstraction des deux procès précédents, des excuses aux accusés du Procureur général pendant le délibéré en appel, des excuses de la République, des auditions télévisées de la commission Outreau…
J’entends bien les arguments de ceux qui estiment que mieux eût valu laisser le délai de prescription faire son œuvre et épargner un troisième, voire un quatrième procès criminel à M. Legrand. Préserver la cohérence des décisions judiciaires, permettre enfin à l’intéressé de se reconstruire et de vivre sa vie loin des caméras, ne pas remuer le bourbier dans lequel le dossier Outreau a sombré pour l’essentiel. Mais à ceux-là, je ne poserai qu’une seule question : qu’un dossier criminel puisse être enterré sur seule décision du Parquet, hiérarchiquement soumis au pouvoir exécutif, ça vous paraît satisfaisant en termes d’indépendance de la Justice ?
Personnellement, j’ai déjà ma réponse. Qu’on en finisse avec Outreau, oui, mais légalement.