Les plus vieilles délinquantes du monde ?

Au lendemain de la discussion devant le Sénat de la proposition de loi relative à la prostitution, les membres de la chambre haute ont fait preuve de l’un des travers récurrents de nos politiques, à savoir la pénalisation à outrance de la vie publique et privée, en décidant de maintenir le délit de racolage qui avait été créé en 2003 et dont la suppression était projetée.

Des prostituées attendent des clients au rond-point de Rennes, le 5 novembre 2014, à Nantes (Loire-Atlantique). 

En la matière, la pénalisation de l’activité des prostitué(e)s par le biais du délit de racolage ou de celle du client ne me parait pas être la solution adéquate aux difficultés posées par la prostitution.

Le délit de racolage, défini comme « le fait, par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération », n’a nullement pour objectif ni pour effet de protéger le/la prostitué(e), contrairement à ce que semblent penser les sénateurs favorables à ce texte.

Lors de l’adoption du texte répressif initial en 2003, le gouvernement et le législateur avaient indiqué que la création de ce délit avait pour objet de protéger les habitants des quartiers où s’exerçait la prostitution. On est bien loin de considérations humanitaires ou empathiques à l’égard des prostitué(e)s. J’ai du mal à cerner où réside la protection des prostitué(e)s dans le fait de pouvoir les sanctionner d’une peine maximale de deux mois d’emprisonnement pour avoir interpellé sur la voie publique des automobilistes par des gestes tels que des sourires et des signes de la tête, ou pour s’être promenées vêtues d'une mini-jupe noire et d'un tee-shirt blanc moulant dans une voie de bus (exemples de faits de racolage retenus par la jurisprudence pénale).

De même la pénalisation  des clients (refusée en l’état par le Sénat), qui aurait pour objectif de limiter le recours à la prostitution, entraînerait par ricochet celle du/de la prostitué(e), à l’encontre de qui il serait loisible de caractériser la complicité de l’infraction principale, telle qu’elle se trouve prévue par l’article 121-7 du code pénal : « Est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation. Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué une infraction ou donné des instructions pour la commettre. »

Ce second alinéa sera seul applicable à la contravention nouvellement créée à l’égard des clients : sera complice l'individu qui incite ou provoque l'auteur de l'infraction à commettre celle-ci. Toute personne qui, par don ou promesse, aura provoqué le recours à la prostitution pourra être sanctionnée de la même contravention.

Dans la mesure où la simple acceptation par le client d’une proposition d’acte sexuel tarifé serait répréhensible, le fait pour une prostituée de pousser le client à l’acceptation serait tout aussi punissable sur le même fondement légal. En proposant une relation sexuelle à un client potentiel, un(e) prostitué(e) pourrait donc potentiellement être poursuivi(e) comme complice de ce client qui aurait accepté son offre, du fait de la création de cette contravention.

Le complice encourant en droit français la même peine que l’auteur principal, client comme prostituée pourraient être sanctionnés d’une amende de 1500 €. Le double en cas de récidive.

Une mesure de protection, vraiment ? Plutôt une cotte mal taillée entre un positionnement moralement inacceptable pour nos sénateurs qui reviendrait à autoriser officiellement la prostitution, sans plus se préoccuper de pénaliser quoi que ce soit, et l’impossibilité pratique, si l’on est un tant soit peu réaliste, de la supprimer réellement en l’interdisant.