Suite au remaniement gouvernemental du 1er février dernier, M. Laurent Fabius, jusqu’alors ministre des affaires étrangères, a quitté le quai d’Orsay pour présider dès ce samedi le Conseil constitutionnel, prenant la suite de M. Jean-Louis Debré, dont les fonctions de président avaient débuté en 2007 pour se terminer le 4 mars 2016. L’occasion de réfléchir à cette institution, et en particulier à la nomination de ses membres et aux conditions posées pour accéder à ces fonctions, qui peuvent paraître insuffisantes s’agissant de la juridiction chargée de veiller au respect du texte fondamental de notre ordonnancement juridique.
Le Conseil constitutionnel, créé par la Constitution de 1958, avait à l’origine le double rôle de vérifier le respect de la répartition des compétences entre le législateur et le pouvoir exécutif et de veiller à la conformité des lois à la Constitution. Si dans l’esprit des rédacteurs de ce texte, la première fonction devait être la principale, en réaction aux errements de la IVe République, c’est la seconde qui a peu à peu pris le dessus, surtout depuis que le Conseil peut être saisi aux fins de vérification de la constitutionnalité d’une loi par l’opposition, sans parler de la question prioritaire de constitutionnalité permettant à tout citoyen de soumettre une loi à la censure de cette juridiction.
On ne peut ainsi que constater l’importance croissante acquise par le Conseil constitutionnel dans le respect des libertés publiques fixées par les textes fondamentaux, tels que la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou le préambule de la Constitution de 1946. Dès lors, la nomination des membres du Conseil constitutionnel revêt un caractère fondamental pour la garantie des droits issus de ces textes.
Le Conseil constitutionnel comprend des membres de droit, à savoir les anciens Présidents de la République (le seul à y siéger encore étant M. Valéry Giscard d’Estaing), et des membres nommés.
Ces derniers sont désignés pour une durée de 9 ans et renouvelés par tiers tous les trois ans. Les autorités disposant du pouvoir de désignation sont le Président de la République, le président du Sénat et le président de l’Assemblée Nationale. Le caractère très politisé de ces nominations constitue ainsi leur première caractéristique, particulièrement problématique pour une juridiction amenée à juger de la conformité à la Constitution de lois parfois votées à l’initiative de l’autorité de nomination.
M . Fabius , nouveau président du Conseil constitutionnel, sera ainsi rapidement chargé d’apprécier la constitutionnalité de lois rédigées par un gouvernement dont il a fait partie, sous l’égide du Président de la République qui l’avait nommé ministre.
Certes, le règlement intérieur du Conseil prévoit que “Tout membre du Conseil constitutionnel qui estime devoir s'abstenir de siéger en informe le président”. Aucune liste des cas précis de déport n’est prévu, ni aucune sanction. Un membre du Conseil peut donc siéger au sein de la juridiction et apprécier la conformité à la Constitution d’une loi à l’élaboration de laquelle il a éventuellement pris part. On fait mieux en termes d’impartialité.
Il convient par ailleurs de noter qu’aucune condition d’admissibilité n’est prévue concernant le candidat : pas de nécessité de diplôme, d’expérience ni de limite d’âge.
Ont ainsi pu accéder au Conseil constitutionnel, outre d’éminents juristes (M. Robert Badinter, avocat, professeur de droit, ancien Garde des sceaux et bien plus encore ; M. Georges Vedel, professeur de droit ; Mme Nicole Maestracci, ancien magistrat ; M. Guy Canivet, ancien premier président de la Cour de Cassation…) des historiens (M. Maurice Faure en 1989), des exploitants agricoles (M. Etienne Dailly en 1995), un pharmacien (M. Robert FABRE en 1986), des administrateurs de société (M. Jules ANTONINI en 1967) ou une sociologue (Mme. Dominique SCHNAPPER en 2001). On pourrait estimer que compte tenu du caractère très juridique des fonctions et de l’importance des missions du Conseil, notamment dans la protection des libertés fondamentales, un seuil de technicité ou de formation serait opportun. Mais on pourrait tout aussi bien répliquer à cela que les juges consulaires ou les conseillers prud’hommes, élus par leurs pairs, viennent par définition d’autres métiers que de ceux du droit et que personne ne remet spécialement en cause leur existence.
Concernant l’âge de ses membres, on peut constater que M. Fabius, 69 ans actuellement, en aura 78 à la fin de son mandat. Les nommés les plus âgés avaient 77 ans, MM. Monnerville en 1974 et Dailly en 1995 (décédé en cours de mandat), sans parler de M. Giscard d’Estaing aujourd’hui âgé de 90 ans. A titre de comparaison, au sein de la magistrature judiciaire, la loi interdit un maintien en fonctions au-delà de 68 ans, ce qui me paraît à la fois judicieux (le métier étant usant et « endurcissant » à la fois, autant éviter de l’exercer jusqu’à ce que mort s’ensuive) et souhaitable (il y a une vie après le tribunal – je vous vois d’ici, chers collègues qui prévoyez d’occuper votre retraite en devenant juges de proximité ou honoraires).
Mais après tout, si une réforme sur ce point paraîtrait opportune, ne pourrait-on considérer tout simplement nécessaire d’établir une limite d’âge non seulement pour cette juridiction suprême, mais également pour l’ensemble des fonctions relevant des pouvoirs législatif et exécutif ? S’il est logique d’estimer qu’arrive un âge où l’on n’est plus en état de juger, autant décider que la capacité de rédiger un texte de loi ne soit pas non plus éternelle, non ?