Nadine Morano : le mépris prend bien des formes

Rude journée que ce mardi 15 octobre 2014 pour Mme Nadine Morano : probablement inspirée par l'exemple de M. Wauquiez qui avait, quelques semaines auparavant, interpellé et "sanctionné" un jeune irrespectueux des dispositions du code de la route, l'ancienne ministre a senti son sang républicain ne faire qu'un tour lorsque, aux alentours de 13 heures 30, alors qu'elle descendait d'un train Gare de l'est, son regard s'est arrêté sur la silhouette d'une femme (ou d'un homme, ainsi qu'elle a pu elle-même en exprimer l'incertitude) totalement voilée. Après avoir apostrophé la personne concernée sans provoquer d'autre réaction de sa part qu'un "mépris total", Mme Morano s'est approchée des policiers en fonction au sein de la gare, leur demandant instamment d'intervenir et d'interpeller la contrevenante.

Nadine Morano à la sortie du siège de l'UMP, le 10 juin 2014.

Les fonctionnaires de police, ne reconnaissant pas l'ancienne ministre qui, ainsi qu'ils le relateraient ultérieurement, faisait preuve d'une certaine agressivité à leur égard, lui ont alors demandé de justifier de son identité.

Selon le rapport qui a été établi, Mme Morano leur aurait répondu : "Comment ? Vous ne me connaissez pas ? C'est incroyable ! Vous ne regardez jamais la télé ! Je suis ministre ! Je suis députée, Madame Morano ! "

Si le défaut d'intervention des policiers pour faire cesser l'infraction de dissimulation de visage dans l'espace public peut éventuellement interroger (et encore, s'agissant d'une contravention de deuxième classe, sanctionnée d'une amende maximum de 150 €, on peut imaginer que ces policiers aient eu des choses plus importantes à faire dans le cadre de leur mission de maintien de l'ordre), l'attitude de la personne, ministre ou simple citoyen, leur demandant d'arraisonner le(la) contrevenant(e) n'est pas non plus à l'abri de toute critique.

Les policiers ont précisé, dans le rapport établi par leurs soins, que la personne en attente était "très énervée et [avait] eu une attitude extrêmement agressive" à leur encontre, précisant "il y a une femme voilée intégralement dans la gare, c'est scandaleux, nous sommes en France, il y a des lois à faire appliquer, où est la police ? Je veux qu'on interpelle cette femme". Ils ont ajouté qu'elle était apparue "aveuglée par ses exigences" et n'avait eu que faire de ce que lui disaient les policiers.

Si Mme Morano se souvient manifestement avec acuité des dispositions contraventionnelles sanctionnant la dissimulation du visage dans l'espace public, qui au demeurant ont été créée sous le mandat présidentiel de M. Sarkozy tandis qu'elle était elle-même membre du gouvernement, elle semble visiblement moins au fait du délit prévu par l'article 433-5 du code pénal qui sanctionne de six mois d'emprisonnement et de 7.500 € d'amende l'outrage constitué par des paroles, gestes ou menaces, les écrits ou images de toute nature non rendus publics ou l'envoi d'objets quelconques adressés à une personne dépositaire de l'autorité publique dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de sa mission, et de nature à porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont elle est investie.

Cette infraction a pour objectif de protéger l'autorité morale de la personne visée et le respect dû à sa fonction et est couramment poursuivie devant les tribunaux correctionnels et juridictions pour mineurs, le plus fréquemment lorsque des policiers ou gendarmes en sont victimes.

Dans le cadre de l'application de ce texte répressif, la jurisprudence a eu l'occasion d'étendre cette qualification à une attitude familière (une personne s'adressant à un policier en lui disant "Mon pote"), l'ironie, la condescendance ("Je travaille pour payer des gens comme vous" adressé à un policier ou le fait de dire à un gendarme "vous ne me faites pas peur") ou le mépris ("J'ai le bras long").

L'attitude agressive, voire condescendante de Madame Morano à l'égard des policiers qui ne faisaient pas leur travail selon ses prescriptions aurait ainsi pu, le cas échéant, relever de cette qualification.

S'il est tout à fait louable pour un citoyen d'attirer l'attention des forces de l'ordre sur une infraction qui est en train de se commettre, il est préférable d'y mettre les formes en évitant, pour mettre fin aux agissements d'un contrevenant, de risquer de se voir qualifier soi-même de délinquant.