Le 26 août 2014, Mme Christine Lagarde, ancienne ministre de l’économie et des finances, a été entendue pour la quatrième fois par les magistrats et parlementaires qui composent la Cour de justice de la république au sujet de son rôle dans la décision d’'arbitrage qui avait, en 2007, abouti à l’indemnisation de Bernard Tapie à hauteur de 400 millions d’euros, dont 45 en réparation de son seul préjudice moral, à l’issue du litige qui avait opposé l’homme d’affaires au Crédit lyonnais.
A l’issue de cet interrogatoire particulièrement long (plus de 15 heures), la présidente du Fonds Monétaire International a été mise en examen pour détournement de fonds publics commis par négligence.
J’avoue avoir découvert à l’occasion de cette mise en examen l’existence de cette infraction qui n’est manifestement que très rarement poursuivie, prévue par l’article 432-16 du code pénal dans les termes suivants : « Lorsque la destruction, le détournement ou la soustraction par un tiers des biens visés à l'article 432-15 résulte de la négligence d'une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, d'un comptable public ou d'un dépositaire public, celle-ci est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. »
Cet article ne mentionne que le terme de « négligence » pour caractériser l'élément moral de l'infraction, ce qui la classe dans la catégorie des délits non intentionnels. Sont ainsi sanctionnés la négligence proprement dite, l'inattention, le défaut de surveillance, l'imprudence dans la garde des objets ou sommes confiés, l'inobservation de textes permettant d’éviter la destruction ou le détournement par des tiers des biens protégés.
La jurisprudence relative à ce texte est très peu abondante (ce qui s’avère plutôt rassurant pour mon ego). Ce texte a ainsi été appliqué dans le cas d’un enseignant, chargé de la garde de registres de l’état civil en sa qualité de secrétaire de mairie, qui avait emporté ces registres jusqu’à l’école où il travaillait et les y avait laissés en quittant les lieux abruptement, suite à une dispute conjugale: Les registres n’ayant pas été retrouvés, l’instituteur avait été condamné pour négligence par le Tribunal correctionnel saisi.
De même, un greffier a été reconnu coupable de cette infraction suite à la disparition d’importantes sommes d’argent placées sous scellés, la Cour de cassation retenant que la négligence du greffier avait permis la soustraction des scellés dont il avait la garde (sans mauvais jeu de mots, bien entendu), puisqu’il n'avait pris aucune disposition pour assurer le contrôle et la sécurité des valeurs détenues ni donné d'instructions à cette fin au personnel placé sous son autorité.
Enfin, le maire d’une commune a été condamné de ce chef pour ne pas avoir vérifié la destination des achats effectués sous sa signature par le secrétaire de mairie pour son confort et dans son intérêt personnel.
En termes de jurisprudence existante, c'est à peu près tout (ce que je trouve, en tout cas).
Pour en revenir à Mme Lagarde, celle-ci a publiquement déclaré que «La commission d’instruction de la Cour de Justice de la République [avait] décidé ma mise en examen sur le fondement d’une simple négligence», ajoutant que «Après trois années d’instruction, des dizaines d’heures d’audition, la commission s’est rendue à l’évidence que je n’avais été complice d’aucune infraction et a donc été réduite à alléguer que je n’aurais pas suffisamment vigilante lors de l’arbitrage opposant la société CDR au liquidateur du groupe et des époux Tapie».
Ce n’est effectivement pas un détournement de fonds intentionnel qui est reproché à Mme LAGARDE, ni la complicité par aide ou assistance ou par fourniture de moyens aux autres personnes mises en examen dans ce dossier. Pour autant, les « allégations » que Mme LAGARDE attribue à la CJR constituent bien une mise en examen en qualité d’auteur principal au titre d’une infraction autonome, la Cour considérant qu’il existe des indices graves et concordants à l’encontre de la présidente du FMI laissant présumer qu’elle n’ait pas convenablement procédé aux contrôles nécessaires, tandis qu’elle était ministre de l’économie, dans le cadre d’une procédure d’arbitrage impliquant les finances de l’Etat pour des montants très importants et pour le moins inhabituels : rappelons pour mémoire que M. Tapie a bénéficié d’une somme de 45 millions d’euros en réparation de son préjudice moral sur fond de litige commercial, montant sans commune mesure avec ceux qui sont couramment attribués par les juridictions de droit commun aux parties civiles, y compris lorsque celles-ci ont subi une atteinte directe à leur personne (pour exemple, la plupart des victimes de viol que j’ai pu croiser dans le cadre de mon activité professionnelle se sont vu allouer une indemnité de l’ordre de 20.000 euros). Difficile donc d’estimer ainsi que l’a fait Mme LAGARDE que la CJR en ait été « réduite » à lui reprocher cette infraction non intentionnelle : elle a mis en œuvre la qualification juridique qui lui semblait la plus adaptée à la situation de l’ancienne ministre.
Libre à cette dernière de la contester en utilisant les voies de recours qui existent.