Mercredi 14 octobre, plusieurs milliers de policiers ont manifesté place Vendôme, devant le ministère de la Justice et de nombreux tribunaux français, afin de protester contre les dysfonctionnements de l’institution judiciaire, le caractère « incompréhensible » de certaines décisions de justice, leurs conditions de travail et l’insuffisance des moyens qui leur sont accordés pour exercer leurs missions. Cette manifestation faisait suite à l’agression de l’un de leurs collègues par un détenu en situation d’évasion, le 5 octobre dernier.
M. Valls a rapidement indiqué avoir entendu le message ainsi adressé par les policiers au gouvernement et leur colère, et annoncé une série de mesures destinées à corriger les dysfonctionnements ainsi dénoncés.
Le Premier ministre a particulièrement insisté sur l’objectif, apparemment nouveau, d’éviter que des permissions de sortir ne soient accordées aux détenus « sans nécessité avérée » afin que ces mesures soient désormais « recentrées » sur « le respect de la dignité humaine » et des « exigences du projet de réinsertion sociale » du détenu. M. Valls a également évoqué un renforcement des escortes de sécurité, à la charge de l’administration pénitentiaire ou des forces de sécurité intérieure, pour encadrer certaines de ces sorties. Il a enfin souligné la nécessité d’une « remontée » de l’ensemble des informations concernant le détenu préalablement à l’octroi de toute permission de sortir, notamment les renseignements relatifs à la particulière surveillance dont font l’objet certains détenus, que l’administration pénitentiaire ou la DGSI ne transmettraient actuellement pas au juge de l’application des peines saisi de la demande.
Le Premier ministre s’est en outre dit favorable à la participation des policiers aux commissions de l’application des peines (CAP), qui donnent notamment leur avis au juge de l'application des peines (JAP) quant à l’opportunité d’accorder aux détenus les permissions de sortir qu’ils sollicitent, hors cas d’urgence.
Je ne voudrais pas avoir l’air de rabâcher, hein. Mais je me demande comment M. Valls imagine le déroulement d’une commission d’application des peines à l’heure actuelle.
Rappelons que la commission de l’application des peines, présidée par le JAP, comprend le Procureur de la République et le chef d’établissement pénitentiaire en qualité de membres de droit. Le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) et les surveillants de l’établissement y sont représentés. Le JAP peut en outre y entendre toute personne dont l’avis serait pertinent sur un cas particulier. Celles auxquelles j’ai pu participer ne m’ont jamais donné l’occasion d’examiner d'informations émanant de la DGSI (les fameuses fiches S, je présume), mais la surveillance particulière exercée autour de certains détenus y a toujours été intégrée au débat lorsqu’il y avait lieu.
Si je comprends bien, une CAP se déroule de la façon suivante, vue depuis Matignon :
« JAP : Le détenu X, qui purge actuellement sa seizième condamnation pour violences aggravées en récidive, présente une demande de permission de sortir. Aucun motif évoqué, juste l’envie de prendre l’air. Y a-t-il des avis défavorables ?
Directeur d’établissement : Aucun élément spécialement défavorable. Bon, il est DPS (détenu particulièrement surveillé) – rhaaa zut, je n’aurais pas dû vous le dire. Mais enfin, rien de grave.
SPIP : Le détenu X n’a aucun projet de sortie, aucune démarche d’insertion en cours, et aucune famille. Avis favorable, donc.
Procureur : Je ne vois vraiment pas pour quelle raison je requerrais à l’encontre de cette demande qui me paraît tout à fait fondée et conforme au cadre légal.
JAP : Bien, la cause est entendue. Au vu de l'absence de nécessité avérée, la permission est accordée. »
Plus sérieusement, pour revenir aux pistes évoquées par le Premier ministre : M. Valls veut recentrer les permissions de sortir sur le respect de la dignité humaine (on comprend qu’il s’agit là des sorties liées à la maladie ou au décès de proches) et des exigences du projet de réinsertion sociale du détenu. Fort bien. Rien de révolutionnaire : toutes les demandes en la matière sont déjà liées à ces objectifs, toutes.
Le recours à « Internet ou à des tiers dignes de confiance » a été évoqué comme devant être privilégié en dehors de ces hypothèses. Je vois mal de quelles démarches il pourrait s’agir pour ne pas être relatives au projet d’insertion sociale de l’intéressé.
Annoncer un renforcement des escortes de sécurité, c’est bien. Le financer serait encore mieux. A l’heure où le déroulement des audiences correctionnelles dépend notamment de l’organisation (contrainte) des services d’escorte des détenus, nul doute que l’administration pénitentiaire, la police et la gendarmerie ne disposent de contingents de personnels prêts à se consacrer à l’encadrement des permissions de sortir.
Quant à la participation des services enquêteurs aux CAP, on peut objectivement se demander quelle en serait la pertinence. La condamnation purgée par le détenu demandeur résulte par hypothèse de l’enquête menée par les enquêteurs, qui cessent d’entretenir un contact avec lui dès la mise à exécution de cette condamnation. Cette décision est évidemment connue des membres de la CAP, figure au dossier du détenu et est prise en compte dans l’évaluation de la situation à laquelle procède le JAP pour octroyer ou refuser la permission de sortir sollicitée. Un rappel par les enquêteurs qui prendraient part à la CAP de la gravité de l’infraction commise par le condamné constituerait, au mieux, un doublon par rapport aux éléments généralement mis dans le débat par le Procureur de la République.
Accessoirement, les CAP se réunissent à intervalles réguliers et durent rarement moins de plusieurs heures. Les services enquêteurs, qui connaissent d’ores et déjà, depuis longtemps et pour longtemps, une situation de sous-effectif alarmante, ont-ils réellement les moyens de distraire du personnel pour venir informer les JAP de ce qu’ils savent déjà ?
Oui, on en revient toujours à la question des moyens.