Lundi 5 octobre 2015, un policier a été grièvement blessé lors d’une intervention sur un vol à main armée commis par un homme qui a lui-même été abattu dans cette fusillade. Cet individu se trouvait depuis plusieurs mois en état d’évasion, à la suite d'une permission de sortir accordée par un juge de l’application des peines (JAP) à l’issue de laquelle il n’avait pas réintégré l’établissement pénitentiaire où il était détenu.
Très rapidement, les syndicats de policiers et diverses personnalités politiques ont fait publiquement part de leurs interrogations concernant les possibilités de remettre en liberté des personnes détenues, parfois multi-récidivistes, sans aucun contrôle permanent.
M. Eric Ciotti, député LR (encore lui), a ainsi précisé via son compte Twitter qu’il fallait « mettre un terme à cette aberration qu’est la déconstruction des peines prononcées au nom du peuple dans le secret du cabinet d’un JAP ».
M. Manuel Valls, de son côté, a précisé croire qu’il faudrait « revoir la législation » applicable en la matière, rassurant immédiatement ses interlocuteurs sur le fait que toute modification en la matière serait faite avec « sérieux, professionnalisme ». Ne reculant devant aucun énoncé d’évidence, le Premier ministre a souligné qu’au-delà de la loi et de la politique pénale, « dans l'application, au cas par cas, quand il s'agit d'individus dangereux, il y a aussi, dans une société de confiance, la responsabilité du juge face à un tel dossier».
Emboîtant le pas au chef de son gouvernement, Mme Christiane Taubira, ministre de la Justice, a indiqué envisager une modification de « la législation applicable aux détenus », réfléchissant à l’idée « d’imposer systématiquement une escorte à certains détenus ».
Autrement dit, le bon vieux réflexe pavlovien « un fait divers, une loi » dont les plus optimistes avaient cru célébrer les funérailles avec le retour de la gauche au pouvoir semble finalement avoir survécu.
Et si nous prenions un instant pour rappeler, avant de décréter qu’elles sont insuffisantes, inadaptées ou que sais-je, les conditions juridiques d’obtention d’une permission de sortir ?
La permission de sortir est prévue par l’article 723-3 du code de procédure pénale qui précise qu’elle « autorise un condamné à s'absenter d'un établissement pénitentiaire pendant une période de temps déterminée qui s'impute sur la durée de la peine en cours d'exécution. Elle a pour objet de préparer la réinsertion professionnelle ou sociale du condamné, de maintenir ses liens familiaux ou de lui permettre d'accomplir une obligation exigeant sa présence. »
L’objectif d’une permission de sortir est ainsi de permettre à un condamné de rencontrer sa famille, d’assister aux obsèques d’un parent, de se rendre à un entretien d’embauche ou à un rendez-vous avec une association de réinsertion. De rester en contact, pourrait-on dire, avec la société dont il est mis à l’écart mais qu’il réintégrera un jour, sauf exceptions. L’utilité d’une telle mesure en matière de réinsertion n’est pas à démontrer, en ce qu’elle peut très concrètement aider le détenu à trouver un logement, un emploi ou une formation à l’issue de sa période d’incarcération.
Chaque année, des dizaines de milliers de permissions de sortir sont accordées sans aucune difficulté sur le plan de leur exécution. Un nombre de 48481 permissions accordées est annoncé pour l’année 2014, et signe au demeurant une baisse sensible au regard des mesures identiques octroyées durant les années précédentes. Sur ce nombre, 281 permissions ont été suivies d’un défaut de réintégration de l’établissement pénitentiaire. Un refus de réintégration, caractérisant une évasion, peut faire l’objet de poursuites pénales.
Le propos de M. Ciotti, qui semble militer pour une interdiction générale de tout aménagement de peine (dont certains, au passage, ont été votés par un parlement marqué à droite), n’aurait pour effet que de permettre des fins d’incarcération « sèches », sans démarches de réinsertion, sans aucune opportunité professionnelle ou sociale offerte aux détenus. Le simple bon sens ne peut qu’amener à conclure que l’incarcération pure et simple suivie de la sortie en fin de peine, du jour au lendemain, serait largement plus criminogène que la préparation avec chaque détenu d’un projet de sortie qui lui ouvre d’autres perspectives de vie qu’un retour à la délinquance.
Si M. Ciotti entend donc faire supprimer la fonction de JAP, souhaitons qu'il prévoie dans le même temps d’augmenter sensiblement l’effectif des présidents d’assises et de correctionnelle ainsi que des services de police-gendarmerie et de l’administration pénitentiaire, qui seront définitivement à l’abri de l’oisiveté – mais pas du burnout.
M. Valls peut par ailleurs se rassurer : procéder au cas par cas, avec « responsabilité », voire avec « sérieux et professionnalisme », à l’examen de la situation « d’individus dangereux », c’est précisément le travail des JAP. Rappelons que de tous les juges, ils sont ceux qui prennent chaque jour la responsabilité de faire confiance, ou pas, à des personnes qui se sont déjà, par définition, montrées capables de violer la loi, plus ou moins gravement. Leur capacité de gestion du risque (de récidive, d'évasion...) est précisément au coeur de leur fonction. Mais comme ils travaillent sur de l'humain et non sur de la betterave, ils ne peuvent en aucun cas espérer atteindre 100 % de réussite.
Il est évidemment dramatique que la cavale, entamée suite à la permission de sortir accordée à l’individu abattu lundi, se soit conclue de façon aussi sanglante et ait une nouvelle fois démontré que les policiers risquent leur peau, quotidiennement, pour protéger leurs concitoyens. Mais il me paraît important de garder à l’esprit qu’à moins d’incarcérer indéfiniment chaque délinquant, personne ne peut jamais avoir la certitude qu’il ne commettra jamais de nouveaux actes violents (en liberté, du moins, la violence trouvant malheureusement en prison un terrain d’expression particulièrement favorable).
Quant à l’idée évoquée par Mme Taubira, elle ne revêt en soi aucun caractère révolutionnaire, les dispositions de l’article 723-6 du code de procédure pénale prévoyant déjà la possibilité d’autorisation de sortie sous escorte, dispositif coûteux que la justice n’aurait en aucun cas les moyens matériels et humains d’étendre à l’ensemble des permissions de sortir.
Alors, si on réfléchissait, la prochaine fois, avant de réagir à chaud ?