Voilà tout juste 24 heures qu'a été rendu le verdict de la cour d'assises d'Ille et Vilaine dans le procès de Mme Naïd-Kaoudjt, accusée d'avoir en 2010 donné la mort à sa fille Méline, alors âgée de huit ans, lourdement handicapée.
L’avocat général avait adopté une position habituelle dans ce genre de dossier, sollicitant la condamnation de l'accusée, compte tenu de l’acte commis, tout en requérant une peine relativement symbolique au regard de la réclusion criminelle à perpétuité encourue, soit cinq ans d’emprisonnement avec sursis, compte tenu de la détresse de Mme Naïd-Kaoudjt au moment des faits, évidemment liée au handicap extrêmement lourd de Méline et aux contraintes permanentes qu'il nécessitait au quotidien.
La stratégie en défense de Mes Dupond-Moretti et Sollacaro s'est avérée plus surprenante puisqu'elle tendait à l’acquittement de l'accusée, non sur le fondement d'une éventuelle irresponsabilité pénale (alors même qu’un expert avait retenu l’abolition du discernement de Mme Naïd-Kaoudjt en cours d’instruction), mais en considérant qu’aucune infraction ne pouvait être retenue à l’encontre de celle-ci.
Difficile de comprendre ce positionnement de la défense, dans la mesure où juridiquement l’infraction de meurtre aggravé paraissait, au vu du compte-rendu des débats, constituée tant en son élément matériel qu’intentionnel. La contrainte morale interne évoquée par les défenseurs de Mme Naïd-Kaoudjt, autrement dit l'obligation irrésistible dans laquelle elle se serait trouvée de passer à l'acte sans pouvoir envisager d'autre choix, n'est pas admise en droit français.
La cour d'assises a suivi les réquisitions de l’avocat général, et rendu une décision cohérente avec celles qui sont fréquemment rendues dans ce type de dossier.
Dès le prononcé du verdict de condamnation par le président, Mme Naïd-Kaoudjt a exprimé clairement son incompréhension quant à cette décision, lançant à ses juges : "Vous n'avez pas de coeur, vous n'avez pas compris mon geste d'amour !", évoquant ensuite devant les caméras de télévision le fait que son procès ait permis d'évoquer le monde du handicap et la souffrance de ceux qui y sont confrontés. "Le monde du handicap, on s'en fiche, on s'en fiche complètement."
Je n'ai pas l'intention de faire injure à une mère dont la douleur - ou plutôt, les douleurs sont inimaginables, non seulement depuis la mort de Méline mais, bien avant, depuis sa naissance. Et les propos tenus à chaud à la sortie d'une audience criminelle ne reflètent pas nécessairement la pensée profonde, rationnelle de celui qui les profère.
Mais tout de même, s'il y a une décision de cour d'assises qui soit à la fois logique, humaine et compréhensive, c'est à mes yeux celle-ci. Tout y est : la prise en compte de la gravité extrême de l'acte commis, l'adaptation de la peine à la dangerosité (nulle) de Mme Naïd-Kaoudjt, la reconnaissance des souffrances endurées tant par la fille que par sa mère durant ces huit années de pauvre vie et des motivations ayant animé la condamnée, mais également le rappel de ce principe absolu selon lequel nul n'a le droit d'ôter délibérément la vie à quiconque, même lorsqu'il la lui a donnée et que cette vie peut sembler n'en être pas une.
Ce verdict est le contraire de la négation du monde du handicap : il dit clairement, au contraire, que la vie d'une personne handicapée vaut autant qu'une autre. Acquitter Mme Naïd-Kaoudjt eût signifié donner pouvoir de vie et de mort aux parents de personnes handicapées sur leurs enfants. Acquitter Mme Naïd-Kaoudjt, c'était nier à Méline son statut de victime.