Depuis quelques jours, plusieurs personnalités politiques ont fait preuve d'une imagination concurrente et débridée pour sanctionner les djihadistes français revenus en France après avoir pris part à des actions armées à l'étranger.
Dans un premier temps, Xavier Bertrand a exprimé le souhait d'une justice d'exception, qui comprendrait en particulier une "présomption de culpabilité". Nicolas Dupont Aignan lui a emboîté un pas tout en nuances, proposant "qu'on rétablisse à Cayenne un centre de détention qui permette d'isoler ces fous furieux".
Cette course effrénée aux propositions ne manque pas d'interroger... surtout si l'on réfléchit un peu sérieusement à leur pertinence et et à leur applicabilité juridique.
S'agissant de procédures d'exception, il peut d'ores et déjà être rappelé que les anciens djihadistes qui seraient interpellés et jugés en France se verraient en tout état de cause appliquer un régime procédural dérogeant au droit commun, dans la mesure où ces personnes seraient poursuivies dans le cadre de la procédure applicable en matière de terrorisme, sous la qualification, entr'autres, de participation "à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation d'un acte de terrorisme". Or les articles 706-16 et suivants prévoient dans ce cadre des dispositions particulières, telles qu'une garde à vue pouvant s'étendre jusqu'à six jours (alors qu'elle ne peut durer que 48 heures en droit commun), ou une comparution devant une cour d'assises exclusivement composée de juges professionnels, dépourvue de jurés. L'exception existe donc déjà, et constitue la règle en matière de terrorisme.
Sur l'idée de mettre en oeuvre une présomption de culpabilité, il convient de rappeler à Monsieur Bertrand que le principe en droit français se situe à l'exact opposé : la présomption d'innocence signifie en effet qu'il appartient à la partie poursuivante (soit le procureur de la République) de démontrer la culpabilité de la personne mise en cause. Il s'agit d'un principe à valeur constitutionnelle, prévu par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et maintes fois réaffirmé par le Conseil Constitutionnel. Celui-ci a ainsi, par exemple, pu censurer sur ce fondement la loi HADOPI opérant un renversement de la charge de la preuve au préjudice des mis en cause. Ce principe a par ailleurs été repris dans plusieurs conventions internationales auxquelles la France est partie de telle sorte qu'il apparaît impossible d'y déroger, en particulier pour des infractions susceptibles d'entraîner une condamnation à la réclusion criminelle à perpétuité.
Monsieur Dupont Aignan caresse pour sa part le projet d'un éloignement des djihadistes du territoire métropolitain, en évoquant la création d'un centre de détention à Cayenne, "où on insiste sur le fait qu'il n'y a pas de retour possible", explique-t-il. Selon lui, ce centre de détention devrait mettre les intéressés à distance, «avec des conditions humaines, sous le respect de la justice» dans l'objectif d' "isoler, rééduquer".
Cette proposition renvoie historiquement à l'article 17 de l'ancien (très ancien) code pénal qui précisait que "la peine de la déportation consistera à être transporté et à demeurer à perpétuité dans un lieu déterminé par la loi, hors du territoire continental de la République". Cette peine, qui au XIXe siècle sanctionnait notamment le crime de complot, a été supprimée en 1960 de l'arsenal législatif pénal à l'initiative du général de Gaulle.
La déportation doit être rapprochée de la transportation (qui consistait en l'exécution des peines de travaux forcés en dehors du territoire de la République) et de la relégation ( "La relégation consistera dans l’internement perpétuel sur le territoire des colonies ou possessions françaises des condamnés que la présente loi a pour objet d'éloigner de France" selon l'article 2 de la loi du 27 mai 1885 créant la relégation des récidivistes, applicable aux crimes de droit commun).
Au delà du retour en arrière de plus d'un siècle et demi de cette proposition, de son caractère infamant pour le territoire guyanais qui ne semble manifestement bon, dans son esprit, qu'à accueillir des criminels pour qu'ils y soient "rééduqués", Monsieur Dupont Aignan paraît oublier que les détenus, tous condamnés soient-ils, ont des droits et que la réintroduction de la déportation dans notre droit y porterait considérablement atteinte.
Ainsi la loi pénitentiaire rappelle que “Le service public pénitentiaire participe à l'exécution des décisions pénales. Il contribue à l'insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à la prévention de la récidive et à la sécurité publique dans le respect des intérêts de la société, des droits des victimes et des droits des personnes détenues”. Bien loin de la mort civile qui accompagnait nécessairement, à l'origine, les condamnations à la déportation et aux travaux forcés, le détenu est donc titulaire de nos jours de droits opposables à l'administration pénitentiaire - ou du moins, censés pouvoir lui être opposés.
Il a en particulier été admis par le législateur que la détention ne puisse priver les détenus de leurs liens familiaux. Ainsi un détenu a-t-il le droit de se marier, ou de conclure un PACS. Ils peuvent surtout bénéficier de droits de visite avec leurs proches, et d'un droit au rapprochement familial des détenus à titre provisoire faisant l'objet d'une information judiciaire achevée. Plus récemment, la loi a posé le principe général des unités de vie familiale et des parloirs familiaux.
La Cour européenne des droits de l'homme a également consacré le principe du droit au respect de la vie familiale des détenus, ce qui impose aux autorités de leur apporter une aide en vue de maintenir des contacts effectifs avec les membres de leur famille.
Au delà de l'idée d'une remise en oeuvre du fonctionnement "traditionnel" du bagne de Cayenne qui constituerait nécessairement un ensemble de traitements inhumains et dégradants inadmissibles (dont Jean-Christophe Piot a effectué un exposé salutaire ici), le simple fait de transporter des détenus à plusieurs milliers de kilomètres de leurs familles entrerait en contradiction avec leur droit fondamental de maintenir régulièrement des liens avec elles.
Bref, plutôt que de relancer la course à l'inventivité législative inutile, utilisons plutôt l'ensemble des possibilités offertes par les lois existantes, qui suffisent largement à poursuivre et sanctionner lourdement les infractions terroristes, même lorsqu'elle sont commises à l'étranger. Lois dont il faut au passage espérer, si vous voulez mon avis, qu'elles ne tombent jamais en de mauvaises mains.