L’Assemblée Nationale a adopté le 30 octobre dernier, dans le cadre de la nouvelle lecture du projet de loi relatif à la simplification du droit, un amendement visant à modifier le code civil et à accorder aux animaux la qualité « d’être vivant doué de sensibilité ».
Les députés ont ainsi créé un nouvel article 515-14 du code civil qui sera rédigé en ces termes : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels. »
Victoire pour certains défenseurs de la cause animale, mesure injustifiée pour d’autres, cette modification législative (qui devra être présentée et débattue au Sénat) ne me semble pas en l’état avoir de conséquence juridique de quelque ordre que ce soit, les animaux demeurant des biens meubles sans que leur condition juridique n’en soit changée.
En effet, le code civil opère une distinction entre les personnes, titulaires de droits civils, et les biens, dont le régime est abordé dans sa deuxième partie intitulée “Des biens et des modifications de la propriété”.
Un animal n’étant pas, tout vivant qu'il soit, doté de la personnalité juridique, il est nécessairement un bien en l’état actuel du droit français.
L’article 516 du code civil qui ouvre la partie relative aux biens précise que “tous les biens sont meubles ou immeubles”. Cette distinction, qui englobe et concerne tous les biens sans exception, oppose les biens fixes aux biens susceptibles d’être déplacés. A l’évidence, l’animal est un bien meuble (à quelques exceptions près, s’agissant des animaux attachés à un fonds sous certaines conditions).
L’article 528 du code civil tire les conséquences de cette situation en précisant que « sont meubles par leur nature les animaux et les corps qui peuvent se transporter d'un lieu à un autre, soit qu'ils se meuvent par eux-mêmes, soit qu'ils ne puissent changer de place que par l'effet d'une force étrangère. »
L’ajout de la disposition qualifiant les animaux « d’êtres vivants doués de sensibilité » ne modifie donc en rien la situation de l’animal au niveau civil, puisqu’il est toujours susceptible d’être acheté, prêté, offert, vendu comme tout bien meuble corporel.
La protection de l’animal résultait déjà d’autres textes, le code pénal réprimant déjà, par son article 521-1, « Le fait, publiquement ou non, d'exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité », infraction punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Les mauvais traitements infligés aux animaux ou leur mise à mort sans nécessité, y compris par maladresse, sont en outre sanctionnés de peines contraventionnelles.
De même, le code rural veille à protéger l’animal notamment pour lui “éviter des souffrances lors des manipulations inhérentes aux diverses techniques d'élevage, de parcage, de transport et d'abattage” et limiter “aux cas de stricte nécessité (…) les expériences biologiques médicales et scientifiques » le concernant.
Enfin, ce même code en son article L. 214-1 que « Tout animal étant un être sensible doit être placé par son propriétaire dans des conditions compatibles avec les impératifs biologiques de son espèce. », rédaction très proche de celle du nouvel article inséré dans le code civil.
L’insertion de cette nouvelle disposition n’emportera ainsi aucune conséquence juridique concrète sur la situation des animaux, qui continueront d’être élevés, vendus, mangés, utilisés à des fins d’expérimentation scientifique, cédés, euthanasiés, à la discrétion de leurs propriétaires et sous réserve de conformité aux législations précitées.
J’ai pu lire une interview de M. Legueulle, délégué général de la Fondation 30 Millions d'Amis, qui se disait convaincu que l’adoption de ce texte allait «permettre de faire évoluer les mentalités, notamment chez les magistrats et les procureurs pour que les peines soient réellement appliquées » ou encore ouvrir aux juges aux affaires familiales la possibilité d’accorder droits de visite et pension alimentaire, en cas de divorce des propriétaires conjoints de l’animal. Sur le premier point, j’aimerais pouvoir le rassurer, s'il lit ces lignes, en lui indiquant que même le plus stupide ou borné des magistrats n’ignore pas qu’il est plus répréhensible de brutaliser un animal qu’un parpaing. Sur le second, on peut observer que, d'une part, rien dans la reconnaissance de cette nouvelle qualité d'être vivant doué de sensibilité ne correspond à une modification de la législation sur le divorce et, d'autre part, qu'il semblerait que cela se soit déjà produit de toute façon (en 1979 à Créteil, notamment, décision dont je n'ai pu trouver aucune trace sur le Net).
Le législateur retombe ainsi dans un de ses travers réguliers qui est de légiférer de façon purement symbolique, sans aucun apport concret à la situation existante, et alors que l’on peut supposer que le temps parlementaire eût pu être mieux employé.