Un supermarché de Meurthe et Moselle a été condamné à indemniser une cliente blessée après avoir glissé sur une feuille de salade, alors qu'elle faisait ses courses.
Alors qu'elle se trouvait au rayon fruits et légumes, la dame avait glissé sur une feuille de salade qui se trouvait au sol. Ressentant une vive douleur, elle s'était immédiatement rendue chez son médecin qui l'avait envoyée aux urgences, où une luxation du coccyx avait été diagnostiquée.
Elle avait ensuite saisi le Tribunal de grande instance de Nancy d'une action en responsabilité civile à l'encontre du supermarché, sollicitant une expertise ainsi qu'une provision à valoir sur le préjudice subi. Le Tribunal a fait droit à la demande d'expertise, allouant à la victime une somme de 2.000 € à titre de provision sur dommages et intérêts.
Pour étonnante que puisse paraître cette décision qui trouve son origine dans une simple feuille de salade restée à terre, elle constitue en réalité une parfaite illustration du droit applicable en la matière.
L'article 1384 du code civil précise en effet qu' "on est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde."
Ce texte fixe ainsi le principe de la responsabilité du fait d'autrui (notamment des parents pour le fait de leurs enfants mineurs) et de la responsabilité du fait des choses, qui nous intéresse en l'occurrence.
Pour que cette responsabilité soit engagée, la loi impose la réunion de trois éléments : une chose, un dommage, et un lien de causalité.
Il est important de noter qu'il n'est pas nécessaire de démontrer l'existence d'une faute pour mettre en œuvre de cette responsabilité.
La notion de chose au sens légal du terme est extrêmement large, puisque les tribunaux ont retenu qu'il pouvait s'agir de liquide corrosif, de peinture, d'allumettes, d'un navire, d'un train, d'un fragment métallique projeté par un train, de détonateurs, de fumée, de particules en suspension dans des eaux de ruissellement, d'une échelle, d'une fuite de gaz provoquant une explosion, de l'éboulement d'une falaise, du caillou lancé par une personne, du ski qui échappe à son propriétaire sur une piste, et même d'une crème glacée.
Dès lors, il n'est pas étonnant qu'une feuille de salade restée à terre soit considérée comme une chose susceptible d'être à l'origine d'un dommage au sens de l'article 1384 du code civil.
La nature du dommage peut de même être variée : physique ou moral, direct ou indirect, présent ou futur, pourvu qu'il soit certain.
Enfin, le lien de causalité entre les deux éléments précédents signifie que la chose doit être intervenue dans la réalisation du dommage, en dehors de toute faute.
En l'occurrence, Madame X. a glissé sur la feuille de salade, et a lourdement chuté au sol. La luxation du coccyx diagnostiquée à l'hôpital est directement résultée de cette chute. Dès lors, le supermarché, gardien de la feuille de salade ayant causé le dommage subi par sa cliente, pouvait logiquement être déclaré responsable du préjudice. Il en eût été différemment s'il avait rapporté la preuve que cette feuille de salade était, par exemple, tombée du panier d'une autre cliente.
La responsabilité du supermarché étant établie, restait à déterminer l'ampleur du préjudice subi par la victime et l'indemnisation correspondante. Deux mille euros de provision pour une feuille de salade peuvent a priori apparaître comme une indemnisation excessive (a fortiori si l'on considère que la provision peut ne constituer qu'une partie de l'indemnité finale). On a donc pu lire, çà ou là, des réactions estimant que la justice française se rapprochait dangereusement des excès de son homologue américaine.
Ce n'est pourtant nullement le cas, l'indemnisation fixée étant établie en fonction du préjudice réellement subi par la cliente, en application du principe de réparation intégrale. Ainsi le tribunal, outre l'octroi des 2000 euros de provision, a-t-il ordonné une expertise afin de déterminer le préjudice total subi par Madame X. du fait de son dérapage sur feuille de salade : déficit fonctionnel actuel ou permanent, préjudice esthétique, souffrances endurées...
Une fois le rapport d'expertise déposé, le Tribunal évaluera financièrement et définitivement le préjudice subi, qu'il soit physique (handicap, dommages esthétiques), moral (souffrances endurées), matériel ou financier (coût d'une tierce personne pour assister Madame X dans la vie de tous les jours le temps qu'elle retrouve sa mobilité ou des aménagements de son logement rendus nécessaires en cas de handicap, perte de salaire...).
Dès lors, la décision rendue par le tribunal de grande instance de Nancy n'est nullement surprenante, et correspond parfaitement à la loi française et à la jurisprudence habituelle qui en découle.
Notre système judiciaire est en réalité très éloigné de celui des Etats-Unis, qui connaît notamment le principe des "punitive damages" (dommages et intérêts punitifs) qui ont un objet dissuasif et permettent, pour citer un exemple devenu célèbre, la condamnation d'une chaîne de fast-food à verser une indemnité de presque 3 millions de dollars à une cliente ayant renversé un café brûlant sur ses jambes (Liebeck v. McDonald's restaurants).
Nul américanisme inapproprié, donc, dans cette mise en œuvre de la responsabilité du supermarché : la sanction des méfaits éventuels de la coupable feuille de salade était déjà prévue par notre bon vieux Code Napoléon, dès 1804.