Profitant des quelques heures de répit avant un possible reconfinement, je me suis baladée ce matin entre deux de rendez-vous dans un Paris soucieux. Deux hommes d'une quarantaine d'années, costumes cravates sombres, sont alors sortis de leurs bureaux vitrés : "Tu crois qu'il va nous annoncer quoi ce soir ? Le reconfinement, moi je n'y crois pas ! " annonce le premier homme à s'aventurer à l'extérieur, dubitatif. Le deuxième lui répond triste et blasé : "bah si, on est obligé vu la situation...". Deux amies discutent non loin au coin de la rue. L'une d'entre elles se saisit de son téléphone : "Ah c'est Sophie ! Elle me dit qu'elle fait des stocks de farine et de crème de jour". La phrase pourrait prêter à sourire si elle n'exprimait pas le degré d'anxiété d'une population qui se doute de la teneur de l'annonce à venir : la fermeture des magasins et son lot de comportements irrationnels. Dans quelques heures à peine, le chef de l'État s'adressera à la Nation réunie pour l'occasion devant ses écrans de télévision. Sans surprise, il annoncera vraisemblablement un reconfinement. Autrement dit de nouveaux jours d'enfermement pour une population sortie groggy de ce simulacre de temps carcéral imposé et choisi en mai. Une décision compliquée à présenter aux Français que l'on sait déjà affectés émotionnellement, économiquement, socialement par la crise générée par ce virus incontrôlable. Dans un contexte de défiance, alors même qu'en période calme la communication de l'Élysée est toujours une communication de crise, comment présenter la nouvelle aux Français ?
1Délivrer un message empathique : "je sais que la situation est extrêmement difficile"
La confiance précède toujours la crise. Elle va rarement naître à la faveur de celle-ci. C’est généralement parce que le climat de confiance préexiste qu’il est possible de rassurer l'opinion publique. Dans le contexte actuel chaotique, l'heure est plutôt à la défiance, on l'aura compris. Emmanuel Macron le sait. Il sait également qu'en tant que chef de l'État il est la personne vers qui la Nation se tourne pour comprendre les enjeux et le cap à suivre. Avant même de s'exprimer sur le fond des mesures prises, pour être audible et donc écouté, il doit délivrer un message empathique à l'adresse des Français. Il doit montrer qu'il comprend et reconnaît leur souffrance, leurs angoisses ainsi que les efforts déjà réalisés. En prenant quelques exemples "archétypaux" pour illustrer son propos : le cas des personnes âgées plus isolées encore qu'à l'accoutumée ou bien encore celui des indépendants qui pâtissent de la violence économique de la situation. Les personnels soignants, héros du quotidien, éreintés déjà depuis le premier confinement. Les moins aisés financièrement pour qui, à la peine du temps d'enfermement, s'ajoute celui du peu d'espace.
2Montrer que la décision est inéluctable : "Le virus progresse de manière fulgurante en France, comme partout en Europe"
Dans cette deuxième partie du discours il s'agira que faire comprendre que les choix qui sont aujourd'hui ceux du président, épaulé par son gouvernement, sont inéluctables au regard de la situation actuelle en France et en Europe. Il s'agira de donner sa version du récit en faisant part des premiers faits vérifiés, vérifiables et mis à jour. C'est le point "courbe propagation de la maladie". Les exemples internationaux et mesures actées par les gouvernements d'autres pays serviront alors à appuyer la démarche envisagée pour entrer sur le terrain de la rationalité. Non, cette décision n'est pas juste celle du chef de l'État : "nous sommes tous concernés" risque-t-on d'entendre. Partout en Europe, des décisions sont prises dans le même sens pour tenter de freiner la progression de ce terrible virus avant que l'on ne trouve un vaccin. Emmanuel Macron ne manquera pas également de communiquer sur les actions qui ont déjà été menées, les effets des premières mesures engagées, de communiquer sur les dispositifs existants pour tenter d'endiguer les effets de cette pandémie. Avant de revenir sur le point précis des écoles et expliquer pourquoi ces dernières resteront vraisemblablement ouvertes pour permettre aux Français de télétravailler.
3En appeler à la solidarité de tous les Français : "Ensemble, nous pouvons enrayer cette progression et affronter cette épreuve"
Lors de cette troisième étape, il s'agira de pointer l'attitude individuelle à préempter, les efforts collectifs à mener et les objectifs communs à poursuivre. "C'est en se disciplinant et en respectant les consignes que tous ensemble nous pourrons réussir cette bataille" pourra-t-on entendre en substance. Nous avons réussi à affronter la première vague, nous franchirons cette seconde vague en restant unis et forts. Voilà le message résumé. Le tout en annonçant les prochaines étapes, le calendrier fixé pour donner de la visibilité sur l'action menée. L’exercice consiste après avoir identifié et nommé les dangers et les menaces de les transformer en risques : un risque est rationalisé, il est possible de développer des réflexes pour s’en prémunir ou limiter ses impacts. Le but de cet exercice est de mettre à distance la peur des Français en leur présentant les risques et en désignant ce qu'ils peuvent accomplir collectivement.
Quoi qu'il en soit, chaque mot, chaque terme utilisé par le président de la République sera disséqué, analysé, commenté par les experts habitués des plateaux tv. Mais, l'opinion publique, elle, sait que progresser, c'est changer d'erreur. Elle jugera Emmanuel Macron à l'aune de sa capacité à répondre aux inquiétudes des Français tout en les sensibilisant sur le risque en cours, à démontrer sa capacité d'action, de transparente et d'ouverture, tout en assumant ses responsabilités. En d'autres termes, prendre la main sur le récit, présenté comme objectif et rationnel, pour ne laisser personne d'autre le faire pour lui. Si possible avant 2022.