Lactalis : l'anti-manuel de communication de crise

La Une du "Journal du dimanche", le 14 janvier 2018. (MAXPPP)

Trois mois... Trois mois que les premiers nourrissons ont été contaminés par les laits Lactalis contenant des salmonelles. Alors que les lots de tous les produits de l’usine incriminée avaient été retirés, l’affaire a pris de l'ampleur le 9 janvier, quand Leclerc (très vite rejoint par Auchan, Intermarché, Système U), a admis avoir vendu des lots de lait contaminé. La grande distribution aurait-elle découvert elle-même ses erreurs ? Non, c'est une mère de famille qui est à l'origine de cette révélation. En attendant, trente-sept enfants atteints de salmonellose ont été diagnostiqués en France après avoir consommé un produit de l'usine Lactalis de Craon en Mayenne, selon les derniers chiffres officiels au 12 janvier. Un cas de salmonellose avéré a été découvert en Espagne concernant un bébé ayant consommé de ce lait infantile contaminé et un autre reste à confirmer en Grèce. Pendant que les parents réclament des réponses, Bercy accuse Lactalis, "entreprise défaillante", et demande à la grande distribution de rendre des comptes. Quant au PDG du groupe Lactalis, Emmanuel Besnier, après un long silence, il sort enfin de son mutisme...pour raviver la crise. Évoquant de possibles erreurs humaines, il promet d'indemniser "toutes les familles qui ont subi un préjudice", après la consommation de lait infantile contaminé dans les colonnes du JDD. La crise est belle et bien là. Que penser de l'attitude irresponsable de Lactalis ? La marque pense-t-elle être une puissance économique si dominante et incontournable qu'elle peut enfreindre toutes règles sans dommage ? La communication de Lactalis semble être un parfait anti-manuel permettant de recenser tous les manquements en matière de gestion de crise.

Ne pas se montrer transparent, refuser de prendre ses responsabilités

L'affaire débute dès septembre dernier, quand deux bébés tombent malade. Le diagnostic tombe sans appel : ils sont bel et bien contaminés par des salmonelles présentes dans un lait premier âge produit par Lactalis. Ce qu'on ignorait alors, c'est que Lactalis avait procédé en août à des contrôles révélant la présence de salmonelles, mais les résultats n’avaient pas été rendus publics... Inadmissible lorsqu'il est question de mettre en danger des nourrissons. Et que dire de son refus de retirer elle-même ses produits... Ce n’est que le 2 décembre que les premiers retraits de laits contaminés sont ordonnés par le ministère de la Santé lui-même et non l'entreprise... Douze lots sont alors concernés. Mais les contaminations continuent et le gouvernement annonce le retrait de 600 lots. Le 11 décembre, un père de famille porte plainte le premier contre Lactalis pour "mise en danger de la vie d’autrui". Finalement, le 21 décembre, tous les produits sortis de l’usine de Craon sont retirés de la vente et le site mis à l’arrêt. En tout, 1 345 références sont retirées précise Clément Lesaffre, journaliste sur Europe1.fr. Cette absence de transparence corrobore en tout point la culture du secret qui semble prévaloir au sein de ce groupe, si dominant et concurrentiel (ses marques s'affrontent entre elles sur le marché), qu'il semble peut prompt à prendre la parole dans les médias. Or, la responsabilité de l’organisation se fonde sur sa capacité de réaction pour informer des risques et faire le nécessaire pour retirer les produits contaminés, répondre aux inquiétudes des publics concernés, démontrer sa capacité d’action, sa volonté de transparence, assumer ses responsabilités. Depuis le début de cette affaire, Lactalis semble pour le moins désinvolte.

Prendre la parole tardivement, récuser un portage au plus haut niveau

En choisissant de médiatiser le porte-parole du groupe et non son président, Lactalis fait un aveu : elle montre (par là même) que l'entreprise ne mesure absolument pas l'ampleur de sa responsabilité. En situation sensible, plongé au coeur du cyclone, lorsque l'émotion est forte (qui plus est lorsqu'il est question de nourrissons), seul le PDG du groupe peut être habilité à prendre la parole. L'affaire doit être prise très au sérieux. En temps de crise, personne d'autre que vous ne doit évoquer vos propres erreurs ; à vous de prendre vos responsabilités lorsqu'elles vous incombent. De nombreux points presse servent alors à illustrer la volonté de transparence de votre groupe disposé à transmettre toute information. Or, le groupe a pris publiquement la parole une seule fois, lors d'une conférence de presse le 11 janvier, par l'intermédiaire de Michel Nalet, porte-parole du groupe. Passé le message empathique "usuel" aux consommateurs (soit le "renouvellement" des excuses auprès des parents), il a affirmé que le "principe de précaution maximum" a été appliqué... En reprenant chronologiquement les faits, le porte-parole de Lactalis a tenté de désamorcer la crise en rappelant le dispositif mis en place. Un grand classique en termes de communication de crise pour essayer de rassurer l'opinion : "À partir du 1er décembre, nous n'avons cessé de chercher les causes [de la contamination] et d'accompagner les parents", s'est défendu Michel Nalet. "Dès le 3 décembre, nous avons mis en place un numéro vert qui a reçu au total 58 000 appels". Avant de montrer sa volonté de collaboration. Là encore, un élément de langage habituel en communication de crise : "Nous travaillons en parfaite collaboration avec les services de l'État", a-t-il affirmé. Le PDG du groupe Lactalis, Emmanuel Besnier, a beau -enfin- prendre la parole ce week-end dans le JDD suite à son entrevue avec le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, le mal est fait. Pire, en faisant la Une du journal, alors même que les produits semblent aujourd'hui retirés des rayons, il ravive la crise :"Notre métier, c'est de mettre des produits sains sur le marché. Si cela n'a pas été le cas, c'est notre responsabilité. Je l'assume. Mais nous considérons qu'il n'y a pas eu de manquement de notre part sur les procédures". La crise, qui se caractérise par une situation sortant du cadre habituel des incidents connus avec la nécessité de prendre en urgence des décisions stratégiques et d’organisation, est bien là. Et ses enjeux sont potentiellement exorbitants et multiples, même si le groupe est dominant. Ses conséquences ne se révèleront qu’au fil du temps, notamment via les décisions de justice, et pourront porter atteinte, à terme, à l'image des produits, de la marque, de l'entreprise et in fine de ses collaborateurs.

Sous-estimer le méta-risque d'opinion politique, économique, administratif, sociétal

Certes, la communication de Lactalis (ou son absence) pose question, mais il semble que l'Etat et la grande distribution elle-même, n'aient pas non plus pris la mesure de la crise et de ses conséquences, notamment en matière d'image à l'international où l'agroalimentaire français a déjà fort à faire. Les produits concernés sont distribués dans 83 pays, soit 12 millions de boites. La question du timing est primordiale lors d'une crise : intervenez trop tard et vous laisserez le champ libre à vos adversaires, politiques lorsqu'il est question de gestion gouvernementale, pour fustiger votre absence de réactivité. 

 

Le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, a rappelé avoir dû signer lui-même le 9 décembre un arrêté demandant la suspension de la commercialisation des laits infantiles susceptibles d'être contaminés. Lorsqu'un acteur externe décide à la place de l'entreprise, c'est le signe que la situation est intenable comme le rappelle Didier HeiderichPrésident de l'Observatoire International des Crises.

Et l'incrimination de la grande distribution convoquée ce jeudi 11 janvier pour avoir vendu des laits pourtant visés par le rappel de produits, démontre que la chaîne de responsabilité s'allonge. Cette crise peut se transformer en méta-risque d'opinion car ses enjeux ne sont pas seulement sanitaires, mais aussi économiques et politiques, administratifs, voire sociétaux (si on élargit à la question de la traçabilité et du contrôle). D'ores et déjà, les enseignes préparent leur défense : Auchan affirme avoir reçu, dans un de ses magasins, le 2 janvier, "une livraison comprenant des références concernées par le rappel du 21 décembre", accusant ainsi Lactalis qui aurait continué d’expédier ses produits de l’usine contaminée. Du côté de E.Leclerc, on précise que des lots incriminés étaient en promotion et les stocks seraient arrivés avec un étiquetage différent. L'affaire Lactalis démontre les limites des procédures de retrait ou rappel d'ampleur fondées sur une chaîne de responsabilité et non de contrôle. Et soulève une vraie question en matière sanitaire. Si la liste des produits concernés par des rappels se trouve sur le site de la Direction générale de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF), souvent, le grand public n'en a pas connaissance. En cas de rappel, dans les vingt-quatre heures, l'ensemble des produits doivent être retirés de la vente. Mais concrètement, c'est sous forme d'affichettes avec la carte d'identité du produit concerné que les enseignes reçoivent l'information précise le journaliste Clément Lesaffre sur Europe1.fr. Le message est alors relayé dans les magasins. Les personnels retirent ces produits des rayons, puis les produits sont détruits ou mis de côté. En bout de chaîne, la DGCCRF manque concrètement d'agents sur le terrain pour sillonner les départements et contrôler dans l'urgence les magasins, grandes surfaces, pharmacies, hôpitaux et crèches. 

Les contrôles vont se poursuivre dans les semaines à venir. La crise est loin d'être terminée car la justice entre désormais désormais en jeu. Le temps médiatique n'étant pas le même que le temps judiciaire, l'affaire sera de nouveau sur le devant de la scène dans les mois à venir. Des sanctions pénales pourront être décidées en cas de volonté délibérée de non-retrait de produits. Du producteur en passant par le groupe et la grande distribution les responsabilités de chacun devront être rapidement mises à jour. Mais le moins que l'on puisse dire c'est que depuis la crise avec les producteurs de lait, la gouvernance de Lactalis et son rapport à la communication interrogent.

Anne-Claire Ruel

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