L'annonce ce mardi matin de rentrée de septembre produit l'effet d'une bombe : sur l'antenne de France Inter, Nicolas Hulot démissionne sans avoir averti au préalable le chef de l'État. La veille, lors d'une réunion avec le président, il a eu la surprise de constater la présence de Thierry Coste, un lobbyiste de la chasse et des armes qui a visiblement ses entrées à l'Élysée. "Il avait prévenu Emmanuel Macron qu'il ne voulait pas voir de lobbyistes à ce genre de réunions". Furieux, il s'en est entretenu avec Emmanuel Macron juste après qui lui aurait dit, '"je ne sais pas comment ce monsieur est rentré", rapporte Thomas Legrand de France Inter, ajoutant "Là, il a eu le sentiment qu'on se foutait un petit peu de lui."
Le moins que l'on puisse dire, c'est que, pour une présidence managériale habituée à gouverner à force de séminaires et autres points avec ses ministres-collaborateurs, la démission du ministre de l'Écologie, sans prévenir l'exécutif, fait un peu désordre. Bientôt, les "pushs" des rédactions, ces alertes reçues sur nos téléphones, font irruption sur nos écrans. Les journalistes en plateau "cassent" l'antenne, selon l'expression consacrée, pour évoquer cette démission qui fera la Une des médias tous ces prochains jours. Déjà, Benjamin Griveaux fustige le manque de "la plus élémentaire des courtoisies" de l'intéressé sur une antenne concurrente. Marlène Schiappa, interviewée sur Radio Classique, pense qu'il s'agit d'une facétie de Guillaume Durand qui l'interviewe. Thomas Legrand, éditorialiste à France Inter, présent lors de la venue de Nicolas Hulot, révèle que l'annonce n'était pas préméditée : "Il avait décidé de démissionner et d'annoncer sa démission dans quelque temps, histoire de faire fructifier ce moment d'influence politique. Mais, en entrant dans le studio, il a visiblement changé d'avis, puisqu'on a vu ses collaborateurs qui étaient dans le studio avec lui, se décomposer. (...) Ce n'est pas un acte de girouette, c'est un acte mûrement réfléchi. On a compris pendant l'interview, qu'il arrivait au bout de ses contradictions et que ce n'était plus exprimable. Ce n'est pas un homme politique comme les autres. Je crois qu'on a vécu un moment de vérité politique." La société du spectacle de Guy Debord est à son acmé quand France Inter revient sur le "moment de grâce" vécu en direct. Les médias s'auto-analysent comme si le récit l'emportait sur l'action, le fond.
"C'était un moment de grâce, c'était un moment unique."
La démission surprise de Nicolas Hulot : @ndemorand et @LeaSalame racontent #le79inter pic.twitter.com/XVFG7pUhKv— France Inter (@franceinter) 28 août 2018
Imperturbables, les chasseurs lancent, eux, ce jour une "une grande campagne de communication dans les transports en commun des grandes villes avec cette question : 'Les chasseurs, premiers écologistes de France ?'. Question à laquelle ils répondent oui, dénonçant l''image caricaturale' attribuée par les anti-chasse et les 'méconnaissances' du grand public sur un 'loisir millénaire' qui selon eux œuvre à la conservation des espèces" rapporte le Parisien... Non, vous ne rêvez pas. Pour paraphraser les Tontons flingueurs, les lobbies ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît.
Édouard Philippe se voit contraint de réagir, alors que les prises de parole des députés LaREM reflétaient leur absence totale de préparation : "J'aurai l'occasion, au cours des jours qui viennent, de faire des propositions au Président de la République (...) s'agissant de la composition du gouvernement", a déclaré le Premier ministre avant d'intervenir devant la conférence des ambassadeurs à Paris, remerciant au passage Nicolas Hulot pour son "travail important" au gouvernement. Quant au journal Libération, il publiait déjà des extraits de la conversation eu avec l'écologiste début août : "Ça me fait chier, ils n'ont toujours pas compris l'essentiel. Le problème, c'est le modèle. Cela me fait penser à cette phrase de Bossuet : 'nous nous affligeons des effets mais continuons à adorer les causes'." Les députés de LaREM, qui ont sans doute reçu entre temps des éléments de langage, louent le bilan de Nicolas Hulot pour défendre celui de Macron, si toutefois il y en a un, parce que le ministre démissionnaire ne semble pas de cet avis, tout en pointant, pour certains, la versatilité supposée de l'ex ministre que d'aucuns qualifient, en "off", d'ingérable, voire de puéril.
Tout est fait pour atténuer l'annonce de cette démission pour divergence politique. Et à ce titre, la référence à Bossuet plaide dans ce sens. Déjà, l'on comprend que le successeur de Nicolas Hulot sera forcément discrédité d'emblée. Après Nicole Bricq, "Delphine Batho, Nathalie Kosciusko-Morizet, Chantal Jouanno, Jean-Louis Borloo, etc.. L’Ecologie est assurément le ministère du turn-over de ces dix dernières années dans l’exercice d’un quinquennat. Cela en dix long sur la puissance des lobbies", comme le rappelle Eric Hacquemand, journaliste à Paris Match, sur Twitter. La communication politique bien rodée déraille, non sans faire écho aux propos de Mathieu Sapin, auteur de bande-dessinée, qui vient de sortir son premier film, Le Poulain, sur les turpitudes d'une équipe de campagne d'un candidat à l'élection présidentielle : "Il y a quelque chose qui est fascinant en politique, c'est que la réalité est toujours plus forte que la fiction." De là à s'interroger sur l'insincérité en politique, il n'y a qu'un pas. Est-on véritablement obligé de "mentir" ou de "se mentir" pour faire de la politique ?
Sans remonter aux "calendes grecques", insincérité et politique sont associés depuis la nuit des temps à tel point qu'ils semblent faire partie de notre patrimoine culturel collectif. Mais cela ne signifie évidemment pas pour autant que les politiques ne sont pas portés par des convictions profondes. Que nous dit Platon dans La République ? Il légitime ni plus, ni moins le mensonge. "C'est (...) aux gouvernants de l'État qu'il appartient, comme personne au monde, de recourir à la fausseté, en vue de tromper soit les ennemis, soit leurs concitoyens, dans l'intérêt de l'État". Des siècles plus tard, au XVIe, Machiavel lui-même, sorte de "spin doctor" de la Renaissance avant l'heure, nous explique tranquillement dans Le Prince qu'il n'est "pas nécessaire pour un prince d'avoir toutes les qualités (...), mais il est bien nécessaire de paraître les avoir". Et il ajoute: "Même, j'irais jusqu'à dire que s'il les avait et s'il les observait toujours, elles lui porteraient préjudice. C'est en paraissant les avoir qu'elles sont utiles". Dans le cas extrême de dictatures, le mensonge est institutionnalisé, comme porté à son paroxysme. Clef de voûte du système mis en place, il sert alors à accéder et conserver le pouvoir. George Orwell, dans son œuvre majeure, 1984, décrit parfaitement le processus qui tend à faire d'un mensonge une réalité : "Si tous les autres acceptaient le mensonge imposé par le Parti -si tous les rapports racontaient la même chose- le mensonge passait dans l'histoire et devenait vérité". A force de propagande, le mensonge s'impose pour devenir la vérité, unique et indiscutable. Face à cette négation de la vérité, la folie semble pour certains un refuge, voire un acte de rébellion contre le pouvoir en place. Car seuls les fous peuvent asséner des vérités dérangeantes. Ou alors il convient de les faire passer pour fous, ingérables et versatiles... Toute ressemblance avec une situation actuelle serait totalement fortuite. C'est ce que nous dit en substance Erasme, dans son Eloge de la Folie.
Avec l'émergence de la démocratie, le culte de la transparence s'est peu à peu érigé en dogme. Dans ce contexte, peu de place pour l'insincérité, me direz-vous vous ? La question est purement rhétorique, vous connaissez la réponse. C'est précisément parce que les politiques ont fait de la "transparence" un axe de communication majeur à l'heure du "fact checking", qu'on en est venu à prôner l'exigence de "République exemplaire", voire morale. Seul hic, au moindre faux pas, les effets sur l'opinion sont désastreux. Nietzsche décrit parfaitement la réaction de l'opinion publique lorsqu'elle apprend qu'on lui a menti : "Ce qui me bouleverse, ce n'est pas que tu m'aies menti, c'est que désormais, je ne pourrai plus te croire". De là à se dire que les politiques disposeraient d'un "capital de crédibilité", sorte de "permis de mentir", il n'y a qu'un pas. Au premier arrangement avec la vérité, le capital s'amenuiserait, nécessitant une période de "mise en vert" et d'éloignement avec la politique dans les cas les plus extrêmes.
Mais déjà, nous nous éloignons très fortement du sujet... Si tant est que le "dit" sujet ne perdure plus que quinze jours, alors que les enjeux sont vitaux : réchauffement climatique, catastrophes naturelles, inondations, avenir de l'homme... "Quand je suis arrivé, Macron et Philippe m'ont dit : 'on va rentrer dans un esprit de coopération.' Et là, on est en permanence dans la confrontation. Si je m'en vais, je dirai les choses… Et quinze jours après, on aura oublié, on sera passé à autre chose. Et ça consacrera une forme de défaite pour moi et pour l’écologie" expliquait Nicolas Hulot à Libération. Il n'a sans doute pas tort. Les médias s'interrogeront bientôt sur le casting pour le remplacer... "Make our planet great again" affirmait face caméra Emmanuel Macron. Le chef de l'État, qui n'a de cesse de rappeler que la France, agonisante, est dans un tel état d'urgence que les réformes budgétaires (pardon, "transformations") sont vitales, est-il si aveugle et sourd à l'urgence planétaire d'une révolution écologique compatible avec le business ?
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