La Grande Marche d'Emmanuel Macron : une action de communication en soi

Emmanuel Macron, ministre de l'Economie, à Paris, le 13 avril 2016. (CITIZENSIDE/PATRICE PIERROT / CITIZENSIDE / AFP)

Dans les médias, dans toutes les conversations. Il est partout. C'en est même devenu une plaisanterie entre journalistes : "non, aujourd'hui, nous ne parlerons pas d'Emmanuel Macron". Pourtant, ses dernières sorties avec le président ont vite fait le tour du web : le jeune ministre de l'Economie provoque, bouscule et joue avec le feu, attisant l'exaspération du président contraint de faire comme si de rien était. Dernier sujet d'agacement en date, le ralliement du cabinet Liegey Pons Muller aux côtés du ministre. Oui, vous ne rêvez pas : une partie du staff de l'équipe de campagne numérique de François Hollande qui avait oeuvré aux côtés du candidat pour moderniser sa stratégie de porte-à-porte en 2012.

"La Grande Marche" ou comment Emmanuel Macron a récupéré une partie du staff de la campagne de François Hollande

C'est l’histoire de trois amis : Guillaume Liegey, Arthur Muller et Vincent Pons, tous âgés d'une trentaine d'années et amis de longue date. Trois ex-étudiants brillants expatriés aux Etats-Unis en 2008, chargés d'organiser une campagne de porte-à-porte de François Hollande en 2012. Au PS, on les surnommait les «Bostoniens» mais ils sont en réalité alsaciens. C’est à Harvard qu’Arthur rencontre Guillaume, diplômé d’HEC, qui suit un master en administration publique, comme je l'ai écrit sur Slate. Ce dernier assiste à des cours théoriques sur les élections dispensés par des professeurs engagés aux côtés d’Obama tels que Steve Jardings, spécialiste de l’organisation de campagne. Arthur a lui déjà intégré les équipes du candidat démocrate pour effectuer du porte-à-porte dans les quartiers populaires de Boston. Il expérimente la puissance de la méthode Obama : professionnaliser l’action de terrain pour mobiliser les abstentionnistes. Le soir, les amis se retrouvent à la «coloc» pour en parler autour de quelques bières. Vincent, attentif à leurs discussions, réalise que ses compétences en matière d’évaluation statistique peuvent être déterminantes dans la modélisation d’une méthode efficace. Leur projet est né: tenter d'essayer d'importer les bonnes pratiques de l'équipe d'Obama en France pour renouveler le militantisme. Pour le mettre en place, les trois militants rencontrent Maxime des Gayets, directeur de campagne adjoint de Jean-Paul Huchon en Ile-de-France. Séduit par la démarche, il les aide à mettre en place un test grandeur nature sur huit zones fortement abstentionnistes durant les élections régionales de 2010. Puis c’est Vincent Feltesse, maire de Blanquefort et président de la Communauté urbaine de Bordeaux, mais aussi professeur en communication publique et politique, qui s'intéresse à leurs travaux et permet la réalisation d’un projet local de recherches relatif aux inscriptions sur les listes électorales. Devenu responsable de la campagne numérique de François Hollande lors de la campagne présidentielle de 2012, il a fait de leur projet, associer l’activisme de terrain et la mobilisation on line et recruter des volontaires non encartés, un axe essentiel. «Nous avons cartographié le territoire à partir des résultats de participation des dernières élections. Puis nous avons identifié tous les bureaux de vote à forte abstention», expliquent les trois militants. Ce maillage extrêmement minutieux du territoire, associé à l’interface du site TousHollande.fr, a permis d’envoyer les militants sur le terrain dans les zones où les réservoirs de voix d’abstentionnistes de gauche étaient les plus importants. En un clic sur le site, le militant entre son code postal et on lui propose de rejoindre une équipe de porte-à-porte sur son secteur. Il est alors contacté par un responsable formé grâce au dispositif pyramidal mis en place : des formateurs initient des mobilisateurs, eux-mêmes chargés d’encadrer des volontaires. Le porte-à-porte ainsi modernisé aurait ainsi rapporté 160 000 voix à François Hollande à l'issue du premier tour. Ces estimations «préliminaires» ont été effectuées par le PS sur la base d'un échantillon de 71 bureaux de votes dans 11 villes. Non négligeable si l'on considère le faible écart entre Nicolas Sarkozy et François Hollande. Et c'est bien cette méthode qu'Emmanuel Macron envisage de mettre en place et s'appuyant sur les ex-soutiens de François Hollande. 

La "Grande Marche", ou comment faire d'une démarche de consultation, une bonne stratégie de communication

L'objectif ? Partir à la rencontre de 100 000 Français de mai à juillet pour établir un "diagnostic représentatif" de l'état de la France en respectant les critères scientifiques dévolus à toute étude digne de ce nom qui se doit. « On veut faire une radiographie, Emmanuel Macron parle de diagnostic, et pour cela on va faire du porte-à-porte, non pour convaincre les gens de quelque chose mais pour écouter les gens », explique Guillaume Liegey au Parisien. Exactement comme pour la stratégie de porte-à-porte déployée pour François Hollande en 2012, il est question de former 300 coordinateurs et 4 000 volontaires pour aller frapper aux portes de 100 000 personnes. Une vraie bonne idée de communication en soi. Car la démarche n'est pas sans rappeler les techniques de négociation en vue de parvenir à une adhésion lors de consultations syndicales et/ou patronales. Elle repose sur trois temps distincts à respecter coûte que coûte : primo, établir un état des lieux et des constats ; secundo, parvenir à un diagnostic partagé ; tertio, engager des débats et l'action. Autrement dit, in fine, fédérer autour du mouvement "En Marche" et susciter l'approbation. Une idée vieille comme le monde. A ceci près que cette "Grande Marche" est également un bon prétexte communicationnel pour attirer les médias et faire parler du mouvement. Et la vidéo de présentation de formation, mettant en scène les membres du cabinet Liegey, Pons, Muller en est le parfait exemple.

Anne-Claire Ruel

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