Si Emmanuel Macron se présente comme le chantre du nouveau monde, il s'inspire énormément des concepts de l'ancien, en sciences politiques comme en communication. Triangulation, méthode Alinsky, parler vrai... retour sur des stratégies devenues cultes déployées en macronie.
La triangulation ou le triptyque hégélien
"En science politique, la triangulation désigne le fait pour une personnalité politique de présenter son idéologie comme étant « au-dessus et entre » la droite et la gauche de l'échiquier politique" selon Wikipedia. Le concept a été théorisé par Dick Morris, le conseiller politique de Bill Clinton dans les années 1990 qui rappelle -au passage- que ce n'est autre que le triptyque hégélien : thèse, anti-thèse, synthèse. "À l'origine quand j'en ai parlé, je l'ai fait dans les termes d'Hegel, que j'avais étudié à Oxford. Mais en politique américaine nous parlons de triangulation." De la déréglementation à l'équilibre budgétaire, Dick Morris a ainsi préconisé tout un attirail de politiques différentes des politiques traditionnelles du Parti démocrate pour tracer une troisième voie. Soit le fameux "et en même temps"... quand bien même aujourd'hui l'expression n'a plus trop de sens politiquement parlant tant Emmanuel Macron a choisi de faire pencher la balance à droite toute.
La méthode Alinsky
Attention, pas de malentendu : la France insoumise a totalement préempté cette méthode portant le nom du sociologue américain issu de la gauche radicale des années trente et quarante qui l'a théorisée et mise en pratique à Chicago. Le sujet a d'ailleurs été longuement débattu lors de la convention du mouvement à Clermont-Ferrand les 25 et 26 novembre. Mais La République En Marche entend mettre une option sur le sujet. D'ores et déjà, selon l'Obs, un professeur américain aurait été dépêché pour vanter les vertus du community organizing aux troupes de marcheurs. Il faut dire que le concept est bien connu outre-atlantique. Lorsqu'elle était étudiante, Hillary Clinton a écrit une thèse sur Saul Alinsky intitulée "Une analyse du modèle Alinsky". Barack Obama, président des États-Unis de 2008 à 2016, s'est lui-même inspiré des idées d'Alinsky en utilisant le concept de "démocratie participative". Mais de quoi s'agit-il précisément ? La France insoumise énumère dans une note révélée par 20 minutes , les quatre étapes de cette méthode :
- "Frapper aux portes"
- "Tisser les colères"
- "Cibler les puissants"
- "Agir nous-mêmes"
En d'autres termes, faire du porte-à-porte dans les quartiers populaires, et interroger les habitants sur leurs difficultés au quotidien. Les faire ressortir. Les partager. Et enfin, agir collectivement pour les résoudre. L'objectif ? Arracher des petites victoires qui donneront envie aux habitants de s'investir pour en décrocher de plus grandes. Pas idiot dans un contexte où le combat politique se mue en combat de proximité. Dans un monde où les corps intermédiaires tentent à disparaître sous l'effet du jacobinisme ambiant, le Président et les élus locaux, à commencer par les maires, sont finalement les seuls visages connus des citoyens. Or, la ruralité, l'organisation des territoires et la répartition des richesses seront très certainement les enjeux fondamentaux des années à venir. La REM et les Insoumis l'ont bien compris et entendent s'y préparer activement.
Le parler-vrai
Lors de son intervention dominicale sur TF1 du 15 octobre, Emmanuel Macron, interrogé par les journalistes sur son utilisation du terme "bordel", soutient qu'il s'agit ni plus ni moins d' "un discours de vérité" alors que "nos élites politiques se sont habituées à ne plus dire les choses, à avoir un discours aseptisé, comme si ce qui est intolérable c’est le mot, et pas la réalité qu’il y a derrière." L'utilisation de ce terme faisait évidemment écho aux ouvrières de Gad qualifiées par le ministre de l'Economie de l'époque "d'illettrées", mais aussi à la polémique sur le "costard", en passant par sa déclaration sur les "fainéants" qui voudraient l’empêcher de mener à bien ses réformes une fois devenu président. Dernière en date, devant le peuple le guyanais fin octobre, Emmanuel Macron est venu pour "dire les choses en vérité", lui qui n'est "pas le Père Noël." Ce style serait le reflet de sa droiture morale si l'on en croit ses partisans. Pas de langue de bois mais des termes abrupts pour rallier les foules à sa lecture de la réalité sociale. Mais que veut bien dire "parler vrai" ? Originellement durant l'Antiquité, le parler vrai, appelé "parrêsia" était un discours de vérité en totale opposition à la posture sophiste dont les opinions étaient présentées comme versatiles. Tout comme les bons discours, "parler vrai" implique dès lors une prise de risque et une volonté de rencontre. Ce qui n'est pas toujours le cas avec Emmanuel Macron qui laisse finalement peu de place à ses contradicteurs et dont les mots peuvent blesser et rompre -à terme- le lien qui l'unit aux Français. "Parler vrai. Si j'avais touché des droits d'auteur sur l'emploi de la formule, ma fortune serait faite", rappelle Michel Rocard qui a fait de cette expression le titre de son ouvrage majeur. Avant d'ajouter : "J'ai voulu enrichir la politique d'une notion mais c'est plutôt le vocabulaire qui s'est accru d'une expression. Elle est devenue rituelle et -paradoxe- figure parmi les stéréotypes qu'elle entendait combattre".
Anne-Claire Ruel
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