Edouard Philippe, Jean-Luc Mélenchon... Les politiques peuvent-ils reconnaître leurs faiblesses ?

Jean-Luc Mélenchon et Edouard Philippe sur le plateau de «L'Emission politique» sur France 2, le 28 septembre 2017 (photomontage). — FRANCE 2

Une élection de perdue ? Sur tous les plateaux de télévision, les tenanciers politiques des débats cathodiques vous soutiendront mordicus, face caméra, que leur score, frôlant pourtant la température politique polaire, n'est pas un échec. À quelques exceptions près, hors de question de montrer ses faiblesses. A tel point que certains médias semblent désarçonnés lorsque des politiques les reconnaissent d'eux-mêmes. La preuve par l'exemple dans les rangs de droite et de gauche.

A la fin de l'été, Edouard Philippe s'y est risqué face Jean-Jacques Bourdin. "Je ne suis pas un surhomme, je n'ai pas tous les chiffres en tête", a-t-il avoué après avoir buté sur la question de la revalorisation des pensions de retraite ou la baisse des cotisations sociales sur les pensions d'invalidité. Il demande alors un peu de temps à Jean-Jacques Bourdin : "permettez-moi de prendre un peu de temps et de vous répondre après la pause". Un arrêt qui lui a effectivement permis de chercher dans ses fiches la réponse. Que n'avait-il pas fait là ! Prompte à juger sans sommation, l'agora numérique s'est mise à tweeter de toutes parts. Impréparation, imprécision, incompétence ! Le verdict est sans appel.

Ce samedi 28 octobre, depuis Athènes où il s'est rendu pour soutenir le lancement d'un nouveau mouvement politique, face au micro de Franceinfo,  Jean-Luc Mélenchon reconnait qu'Emmanuel Macron est le grand vainqueur de la séquence. "Pour l'instant, c'est lui qui a le point", a déclaré le leader de La France insoumise avant d'ajouter : "Faut pas chercher à le cacher, parce que si on raconte des histoires, on n'est pas crédible". Que n'avait-il pas fait là ! "Jean-Luc Mélenchon découragé !", "coup de blues", serait-il "dépressif" s'empressent de commenter les analyses eux-mêmes interrogés par les chaînes d'information continue. A moins qu'il ne s'agisse d'un nouveau coup de com' dont le protagoniste est coutumier.

En réalité, ce qui se joue là est aussi vieux que le fondement de notre démocratie. Les postures opposent parfois mêmes les communicants entre-eux . Peut-on ternir un discours de "vérité" ou faut-il -quoi qu'il arrive- "argumenter" ? En d'autres termes, êtes-vous platonicien ou sophiste ?

Pour les sophistes, dont Gorgias et Protagoras pour ne citer qu'eux, la pratique de la parole ne va pas de soi : elle s'apprend. Les techniques oratoires, tout comme la capacité à saisir le moment opportun pour "prendre la parole", sont des armes qui s'enseignent et s'affûtent patiemment. Selon les tenants de cette "chapelle", il ne s'agit en aucun cas de valoriser le mensonge et la calomnie, mais d'abord et avant tout de permettre pleinement aux citoyens de participer aux débats de la Cité. A l'opposé, Platon les critique vivement avant de les tourner en ridicule en opposant "la vérité" des philosophes à "l'opinion" des philodoxes. Oui, ce même Platon qui légitime le mensonge d’Etat dans « La République »« C'est (…) aux gouvernants de l’État qu’il appartient, comme personne au monde, de recourir à la fausseté, en vue de tromper soit les ennemis, soit leurs concitoyens, dans l’intérêt de l’État ». 

Loïc Nicolas, docteur en rhétorique, chercheur à l’Université libre de Bruxelles fait référence à Perelman et Olbrechts-Tyteca pour prendre la défense des sophistes : "ce qui importe ce n’est pas ce que je crois (en tant que mandataire politique), mais ce que celles et ceux à qui je m’adresse sont à même d’entendre, d’accepter, de ressentir, ce qu’ils jugent vraisemblable. Pour un communicant, ce changement de référentiel est absolument crucial – on l’oublie pourtant trop souvent. En fait, il s’agit toujours de regarder le monde (et sa propre cause) avec les yeux, mais aussi depuis le point de vue de celles et ceux qu’on s’efforce de persuader. Le point de vue adverse n’est pas un obstacle, un péril, un problème, mais une occasion de renforcer son argumentation et de regarder le monde autrement." Cependant, si les techniques d'un Schopenhauer, partisan des sophistes et auteur de La Dialectique éristiqueet de "l'Art d'avoir toujours raison", sont encore aujourd'hui usitées et n'ont pas pris une ride dans les débats télévisés, l'Histoire tend à démonter que c'est la représentation platonicienne du monde qui l'a emporté. Car aujourd'hui la rhétorique est perçue comme l'art de manipuler les foules.

Dans un contexte troublé où l'opinion est passée maître en art du décryptage médiatique et à l'heure du fact-checking, une erreur, voire pire, un mensonge devient de facto une véritable faute morale, source de défiance de l’opinion publique. Nietzsche décrit parfaitement la réaction de l’opinion publique lorsqu’elle apprend qu’on lui a menti dans "Le Gai Savoir " : « Ce qui me bouleverse, ce n’est pas que tu m’aies menti, c’est que désormais, je ne pourrai plus te croire ».

Mais pourquoi diantre ne pas reconnaître ses failles ? C'est d'ailleurs ce que certains politiques apprennent lors de séance de média training : admettre que l'on ne possède pas la réponse et s'engager à l'apporter dans un temps donné. Si la communication performative a bien évidemment de beaux jours devant elle pour informer, convaincre et mobiliser, les règles dévolues au dialogue et énumérées par Platon semblent elles aussi toujours d'actualité : écouter, accepter l’objection, ne pas se contredire, être prêt à reconnaître ses erreurs... Du bon sens, en somme. Plus vivante, moins dogmatique, cette nouvelle forme de dialogue implique un partage d'idées plus qu'une simple démonstration de ''com’'' sans pour autant sombrer le commentaire stérile de sa propre action. Alors, la communication servira peut-être l'action.

Anne-Claire Ruel

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