Branle-bas de combat sur Twitter : habemus homo numericus ! Avènement de l'intelligence artificielle ? Emergence du transhumanisme ? Pire encore, post-humanisme et sacre de Google, l'oracle du XXIème siècle, au rang de religion inter-planétaire ? Non, non. Rien de tout cela. En compagnie de Kevin Systrom, fondateur d'Instagram, François Hollande débarque sur le réseau et le web est en émoi.
Une dissociation énonciative symbole même de l'entrée en campagne
Refonte du site internet de l'Elysée et aujourd'hui création de son compte Instagram personnel, l'information -aussi anecdotique soit-elle- n'est pas dénuée de sens. L'heure est à la reconquête de l'opinion et à la mobilisation en vue de la campagne. Celle des régionales, évidemment, mais aussi et surtout celle de l'élection présidentielle. Cap sur 2017. A travers ce compte, toute l'ambiguité du propos : l'homme et sa fonction se conjuguent et se confondent. Le Président de la République, en tant qu'institution est représenté sur Instagram par le compte de l'Elysée. Avec l'arrivée du compte personnel de François Hollande, le pouvoir est tout à la fois humanisé et personnalisé. Dissociation énonciative, j'écris ton nom ! Nous assistons ici à un flagrant délit d'"hybridation institutionnelle", pour reprendre le vocabulaire des sémiologues avertis. Pour paraphraser Julien Longhi, qui a analysé les différents comptes du Premier ministre Jean-Marc Ayrault dans son ouvrage intitulé "Les discours institutionnels en confrontation", dans le premier cas François Hollande incarne l'institution, dans le second il est la personne en charge de la fonction institutionnelle.
Une dialectique "intimité-respect" à trouver
A travers l'ouverture de ce compte Instagram, l'objectif de communication n'est autre que jouer la carte de la proximité et de l'humanité et de montrer un Président-candidat en action. La photographie, plus chargée émotionnellement que la retranscription d'un discours fleuve, a qui plus est l'avantage d'être sacrément plus virale. Seul problème, la fonction de chef de l'Etat est peu compatible avec cette idée même de proximité. Roland Cayrol, politologue, le rappelle dans Médias et démocratie : la dérive". Il développe dans son ouvrage le biais qui consiste -tout à la fois- à être proche et distant, dans une forme de dialectique "intimité-respect", inaccessible :
« Ce que cherche à faire le marketing politique, pour un leader, c’est de lui permettre de se faire connaître – d’acquérir de la notoriété – et de tout à la fois, comme pour les stars, créer entre le leader et son public une impression d’intimité, tout en maintenant une certaine distance, car le pouvoir (local ou national) suppose en France un certain respect, une certaine solennité. Dans cette recherche de notoriété et d’adhésion, dans cette dialectique intimité-respect, l’orchestration médiatique tient évidemment une place de choix".
Lorsqu'il s'agit de la fonction présidentielle, personne n'arrive à résoudre cette équation. A moins de bouleverser les codes communicationnels... ou de n'apparaître plus que comme candidat.
Instagram, un moyen de plus d'apparaître dans les médias verticaux
Preuve, s'il en fallait du coup d'accélérateur mis sur les réseaux, la colonne centrale de la page d'accueil du nouveau site de l'Elysée est entièrement consacrée aux tweets de la présidence de la République. Le flux de Vines, ces courtes vidéos mises en ligne sur la page d'accueil ajoute également une dimension très "réseaux" à ce dispositif. Autre avantage non négligeable de l'ouverture de ce compte Instagram permet de verrouiller un peu plus l'image présidentielle : quoi de plus simple pour un journaliste que de reprendre dans un article de presse online une photo "validée" par le service communication de l'Elysée ? Tout l'enjeu est donc de se mettre en scène pour in fine paraître dans les médias verticaux que sont la presse écrite, la télévision et la radio.
L'image au service du storytelling personnel et présidentiel
Car il est là le but du staff de François Hollande : maîtriser la communication et se servir des réseaux comme d'un amplificateur de personnalité à la manière d'un Obama. A coup de tweets et de posts, les communicants rêvent, à tort, de façonner l'image du Président à la manière d'un héros de série TV dont la personnalité transparaîtrait à chaque posts ou tweets envoyés. Quant aux plus hardis des ministres, ils reprennent déjà les codes de la culture web à leur compte pour tenter de se réconcilier avec les plus jeunes des Français, quand ils ne s'en servent pas comme d'un appeau à journalistes pour émerger médiatiquement. Pas sûr que cela ne suffise.
Facebook, Twitter, aujourd'hui Instagram et demain, un Tumblr ? Un réseau social de plus, certes, mais les politiques montrent une nouvelle fois qu'ils n'ont rien compris de la logique web. François Hollande comme la plupart des autres animaux politiques, se sert une nouvelle fois de la communication digitale comme d'une simple vitrine 2.0. Où est la logique conversationnelle ? Quid du débat d'idées et de la démocratie participative à laquelle les Français aspirent tant ? Balayés d'un revers de la main. De la "com' pour la com'". Une simple brochure en papier glacé portée à l'écran. Comme l'écrivait Jim Morrison : "il ne peut y avoir de révolution à grande échelle sans révolution personnelle à une échelle individuelle". A quand la conversion des politiques à la démocratie participative ?
Anne-Claire Ruel
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