Le Tumblr de Patrick Kanner : les réseaux sociaux, nouvel outil de démago ?

"Le Vrai ministère", le Tumblr de Patrick Kanner

En pleine torpeur estivale, les ministères fonctionnent encore au ralenti. Communiqué parcimonieux, déclarations sporadiques : en coulisses, l'heure est à la préparation de la rentrée médiatique. C'est précisément le timing choisi par les équipes de Patrick Kanner, Ministre de la Ville, de la jeunesse et des sports, pour lancer officiellement le 24 août son Tumblr, baptisé "Le vrai ministère". Une manière de décupler les chances d'être médiatisé. Alimenté dès le 11 août par cabinet sous l'impulsion du jeune conseiller en "stratégie et communication", Guillaume Macher, les gifs et petite phrases emplies d'humour et d'auto-dérision, se succèdent. Simple blague potache entre collègues pour tuer le temps entre deux couloirs de l'assemblée ? Assurément pas. La stratégie est parfaitement calibrée pour un ministère doté de peu de moyens et dont l'exposition médiatique est aussi étroite que la durée d'une éclipse solaire en Papouasie.

Un ministre de la jeunesse qui reprend opportunément les codes de la culture web... des jeunes

"On se rend compte de la grande déconnexion entre les politiques institutionnelles et les citoyens, en particulier les jeunes. On a voulu actualiser nos outils, aller vers les codes et la culture du moment. On le pense comme un outil sur le long terme pour communiquer de façon décalée", explique Guillaume Macher au Lab d'Europe1. Cette initiative fait écho en tout point au dépoussiérage de la communication du Service d'Information du Gouvernement (SIG) initié par Romain Pigenel. Une seule visée : adapter la communication à la culture pop pour gagner en notoriété et créer du lien. "L’objectif que j’ai chevillé au corps, c’est d’avoir des contenus gouvernementaux qui soient très grand public et mass média. C’est peut-être impossible à atteindre mais c’est ce que j’ai en tête” explique-t-il aux Inrocks. Références à House of Cards, Jurassic Park ou encore Game of Thrones servent désormais à promouvoir les réformes. Autrement dit, la communication politique s'empare des codes qui ne sont pas les siens pour s'en servir comme caisse de résonance grand public.

http://levraiministere.tumblr.com/post/127159238364/quand-patrick-kanner-salue-le-jeune

Un "appeau" à journalistes pour gagner en notoriété et... séduire

Pour revenir plus précisément à Patrick Kanner, les journalistes peinent encore à écrire correctement son nom. Personnellement, j'ai dû m'y reprendre à trois fois tant ce patronyme m'évoquait plus Meryl Streep dans le film "Kramer contre Kramer" qu'un politique de premier plan. Rien de tel que d'utiliser un Tumblr pour faire le buzz et gagner en notoriété. Cette stratégie, tout en second degré, le ministre l'avait déjà utilisée avec succès lors d'une interview décalée avec Cyrille Eldin pour le Petit Journal de Canal+. Et pour faire parler de soi, quoi de mieux que d'égratigner gentiment au passage les camarades pour pouvoir intéresser les médias.

http://levraiministere.tumblr.com/post/126502981639/quand-matignon-tenvoie-à-16h-des-corrections-pour

 

Mais que se dit-il sur le fond et l'action politique dans ce Tumblr ? Absolument rien. Dans les faits, il faut considérer cette démarche comme une première pierre à l'édifice dans la construction d'une identité médiatique. La méthode est d'une simplicité militaire : d'abord, poser les bases de la notoriété, puis passer les messages à caractère plus politiques celle-ci établie. Dans un article passionnant intitulé "Twitter et les relations de séduction entre députés et journalistes", Jonathan Chibois, chercheur en anthropologie politique, montre parfaitement l'utilisation faite par les députés de Twitter comme "appeau" pour journalistes. Par extension cette analyse peut être élargie à l'utilisation des réseaux sociaux pour l'ensemble des ministres des ministères à faible notoriété. Pour ces acteurs, comme pour les députés, la concurrence médiatique est forte. Trop forte. L'attention médiatique est totalement vampirisée par l'exécutif. Les journalistes, avides de scoops, n'ont que faire des ministères subalternes et se battent entre eux pour obtenir des informations exclusives de la part de Matignon et de l'Elysée. Dès lors comment exister médiatiquement et se servir des réseaux pour attirer les journalistes ? La réponse est donnée par un collaborateur parlementaire interrogé par le chercheur dans un entretien réalisé le 21 mai 2014.

"[Pour nous,] Twitter, c’est un usage très spécifique. C’est un appeau à journaliste.

− Qui marche bien ?

− Du feu de dieu ! [...] [D’abord,] on leur a mis quelques bons petits trucs pour qu’ils suivent [ce député]. Et puis, ensuite à un moment, on a balancé la date et l’heure de la sortie de la décision du conseil constitutionnel sur [un texte] parce qu’on l’avait. [...] Et là, le nombre de followers... [il mime une progression fulgurante]. Heure par heure, ça montait par le biais des retweets. [...] Ensuite, on a commencé à live-tweeter les réunions : « en direct de la réunion de groupe, truc vient de se prendre un gros savon par [le Premier ministre] ». Et comme c’est 140 caractères, c’est suffisant pour appâter le journaliste, mais pas assez pour en dire de trop. Il sait, il sent qu’il y a un truc, mais il n’y a pas assez pour faire un article. Le résultat : [...] quand [ce député] live-tweete, dans l’heure qui suit, j’ai cinq coups de fil : « Bonjour c’est RMC ou I-Télé, est-ce que Monsieur le Député est en salle des Quatre Colonnes, on voudrait bien faire une interview de lui ? » [...] C’est de la notoriété. Le fait de passer dans les médias fait qu’il est connu, et donc plus il est connu, plus il est visible dans les médias, plus il a d’importance dans le microcosme politique".

Tout l'enjeu est donc de se mettre en scène pour in fine paraître dans les médias "verticaux"que sont la presse écrite, la télévision et la radio.

"Twitter paraît offrir aux députés une certaine position d’indépendance vis-à-vis des journalistes, une possibilité de contourner un rapport de force qu’il juge en sa défaveur, et de fait une forme d’autorité (Merzeau, 2013, p. 45). En cherchant à court-circuiter les logiques en place, le député cherche à se doter d’une plus grande initiative, et donc d’une plus large liberté de manœuvre, dans la publicisation de ses activités et de ses positionnements. Pour ce faire, il se fait lui-même média" explique Jonathan Chibois.

Le jeu d'influence entre politique et journalistes n'est pas nouveau, mais les réseaux sociaux tendent à l'amplifier. “La séduction représente la maîtrise de l'univers symbolique, alors que le pouvoir ne représente que la maîtrise de l'univers réel" écrivait Baudrillard. Il est peut-être là le grand malentendu. L'opinion publique attend d'eux de l'action là où ils s'évertuent à la séduction.

Anne-Claire Ruel

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