De l'impossible dialectique des émissions politiques télévisées

Le président de la République, François Hollande, lors d'une intervention télévisée, le 6 novembre 2014. (MARTIN BUREAU / AFP)

Entretien intimiste, dialogue avec quatre "vrais" Français castés pour l'occasion, questions-réponses avec les journalistes et chat -post émission- sur les réseaux... Jeudi 6 novembre, François Hollande s'est livré à l'infernal exercice de l'émission politique en prime time pour faire le point sur sa mi-mandat. Pas de surprise. Comme d'habitude, les commentateurs et observateurs politiques de tous bords se sont dressés d'un seul homme à l'issue de ce "show" pour dénoncer ce qu'ils qualifient de "naufrage". Mais comment pourrait-il en être autrement ? Retour sur l'impossible équation des émissions télévisées et l'impérieuse nécessité de revoir le format des interventions politiques.

La dialectique du sacré et du profane à l'oeuvre dans le couple télévision et politique

Non, non, et re-non, l'intérêt pour la politique n'a pas diminué. Au contraire, elle est aujourd'hui transcendée, comme portée par un second souffle. J'en veux pour preuve la vitalité des audiences des chaînes d'information qui réunissent un nombre de croissant de téléspectateurs devant leur petit écran tous les soirs vers 19 heures. C'est la "foi" envers le politique qui est ébranlée. Le siècle des Lumières a sonné le glas de Dieu, évincé par la politique. Celle-ci s’est alors parée des attributs religieux jusqu’à son paroxysme. Si la séparation de l’Eglise et de l’Etat est actée depuis longtemps, la politique -elle- n’était pas exempte de dimension religieuse. Aujourd’hui, de "sacrée", elle est devenue "profane". Depuis François Mitterrand (et même Guy Mollet pour être précise), elle se sépare peu à peu de ses rituels et mythes. Bien sûr, certaines manifestations archaïques perdurent. Bien sûr. Mais elles perdent du terrain. Du respect excessif et complaisant des émissions politiques policées d'antan, nous sommes passés à la remise en cause des hommes politiques par la néo-télévision, avide d'émotions et de sensations. Une abondante littérature italienne et française existe sur le sujet, dont l'ouvrage d'Odin et Casetti à lire sur la question. Comment faire preuve d'empathie tout en incarnant la fonction présidentielle à la télévision ? Comment passer de la posture d'un conseiller emploi à celle d'un Président fixant un cap et une vision ? L'équation est impossible à résoudre. Trop empathique, vous désacralisez votre fonction. Trop présidentiel, vous paraîtrez hautain et distant. Roland Cayrol, politologue, directeur du Centre d'Etudes et d'Analyse du CETAN, directeur de recherche associé au Centre de recherches politiques de Sciences Po éclaire -avec justesse- le double malentendu inhérent à ce type d'intervention dans l'émission C dans l'air du 7 novembre :

« L'émission, du point de vue de la chaîne qui la présente, est réussie. Il y a du monde qui regarde. Il y a plus de monde que ceux qui ont regardé la politique il y a des mois et des mois, parce qu'il y a des vrais Français, des vrais gens. On peut s'identifier à eux, on peut se projeter dans ses personnages. Ils sont plutôt bien choisi. Ca marche (...) La présentation même des gens qui vont participer, c'est Koh Lanta. Donc ça marche. Mais le malentendu c'est que pour les hommes politiques, singulièrement pour les Présidents de la République, c'est probablement le contraire de ce dont ils ont besoin. On a un Président qui a besoin de montrer son autorité, sa vision, son cap, ses premiers résultats, où ça va. C'est pas dans une émission comme ça, où il joue successivement au conseiller emploi, etc qu'il peut le faire. Donc là, il y a un malentendu profond. Si on va chercher l'audience, c'est bien. Si on cherche à expliquer des choses, ca ne va pas ».

Il ajoute sur la question des attentes totalement divergentes du public :

« L'autre malentendu, c'est les attentes différentes du public et des journalistes, de la classe politique, des politologues. C'est pas dans des émissions qu'on va présenter des tas de nouveautés et des tas d'annonces. Le public -là encore contradiction- ne le demande pas. Il demande à comprendre ce qu'il se passe, où il en est, s'il est sûr de lui, s'il sait où il va, s'il peut nous annoncer quand il y aura des résultats. Mais pour tous ceux qui commentent et qui vont colorer l'opinion dans les jours qui suivent, nous compris, bah s'il n'y a pas de nouveautés, c'est une émission pour rien. Et là aussi il y a un malentendu. Ca fait que c'est une émission qui laisse tout le monde sur sa faim. Sauf, sans doute, ceux qui ne s'intéressent pas beaucoup à la politique, et qui regardent le Président et qui le voient plutôt gentil avec les gens, plutôt plus proche qu'ils n'auraient pu croire de leurs problèmes. Cela peut-être qu'ils en ont pour leur argent. Nous pas ».

Ce sujet est assurément l'une des thématiques de prédilection du politologue. Dans son ouvrage "Médias et démocratie : la dérive", il évoquait déjà le biais qui consiste -tout à la fois- à être proche et distant, dans une forme de dialectique "intimité-respect", inaccessible : « Ce que cherche à faire le marketing politique, pour un leader, c’est de lui permettre de se faire connaître – d’acquérir de la notoriété – et de tout à la fois, comme pour les stars, créer entre le leader et son public une impression d’intimité, tout en maintenant une certaine distance, car le pouvoir (local ou national) suppose en France un certain respect, une certaine solennité. Dans cette recherche de notoriété et d’adhésion, dans cette dialectique intimité-respect, l’orchestration médiatique tient évidemment une place de choix". Lorsqu'il s'agit de la fonction présidentielle, personne n'arrive à résoudre cette équation. A moins de bouleverser les codes communicationnels.

 Un impératif majeur : repenser totalement le format des interventions politiques

Aucune émission politique n'a bouleversé les téléspectateurs au point de faire basculer l'opinion. Aucune. Et le discrédit de la parole politique n'est pas franco-français, il est partagé par l'ensemble des pays occidentaux. Obama, Cameron, et même Renzi... tous les leaders se font tancer tant la défiance et la violence envers le politique sont décuplées en temps de crise. Comment -dès lors- travailler pour les Français et leur présenter les résultats de ce travail ? Sans doute en changeant fondamentalement le mode de communication politique. Exit les grandes messes télévisées hors campagne électorale. Mieux vaut sans doute prendre la parole régulièrement, un peu à la manière américaine avec les conférences de presse régulières du Président. Et quoi de mieux que les réseaux sociaux pour créer une toile d'information permanente, afin d'expliquer les mesures prises et de rendre des comptes régulièrement. C'est la continuité qui permet d'imprimer l'action politique. S’ils veulent être cohérents et maîtriser leur image médiatique, les politiques ne doivent pas paraître différents d’une intervention à l’autre, d’une émission à l’autre, sous peine d'être incompris. Les réseaux sociaux sont un levier pour assurer plus de cohérence à leur discours.

« Pas plus qu’un écrivain ne peut modifier de façon fondamentale et soudaine les caractéristiques de ses personnages sans porter gravement atteinte à la lisibilité de son roman, un personnage du récit de campagne ne peut en cours de narration modifier profondément ses attributs » rappelle ainsi Marlène Colomb-Gully, dans "La démocratie mise en scène".

Un bémol. Cette déréalisation des hommes politiques font d’eux des personnages romanesques ou des héros de feuilletons hors de la réalité qui agissent de manière constante suivant un caractère défini par eux-même.

« Les citoyens vivent les hommes publics comme des personnages de feuilleton. La règle de base de l’écriture d’un feuilleton télé est d’attribuer aux personnages un caractère simple et constant auquel vous devez tenir. L’image d’un homme public obéit à la même règle. Les citoyens lui attribuent consciemment ou inconsciemment, un caractère. La question est donc de savoir ce que vous pouvez faire pour que la perception de ce caractère par le public soit à la vraie et favorable, compte tenu de la limite que, là aussi, le réel peut se venger » rappelle Jacques Pilhan, dans "L’écriture médiatique".

Mais en partant du principe selon lequel un dirigeant politique médiatisé est légitime, les politiques et leurs conseillers sont sans doute en train de passer totalement à côté de la révolution qui s'opère localement et dont les réseaux sociaux catalysent l'impact global. La société se repense déjà elle-même pour revoir de fond en comble son modèle économique fondé sur la croissance et de nouveaux acteurs légitimes émergent.

« Les médias deviennent le seul étalon de la légitimité. Autrement dit, la logique de la communication devient le critère ultime avec le syllogisme suivant : ce qui est connu est médiatisé, donc ce qui est légitime est médiatisé. Ce qui est médiatisé, non seulement n’est pas connu mais n’est pas légitime. Ce lien « connu-légitime » est devenu trop fort. Tant que l’espace public était limité, chacun savait qu’il existait des discours, des valeurs, des représentations qui conservaient leur légitimité à l’extérieur de l’espace public. Plus celui-ci s’étend, plus la communication accélère la circulation des discours et des valeurs, plus cette équation simple mais fausse s’impose. Tout ce qui est connu est médiatisé, donc tout ce qui est médiatisé est légitime. Pourtant, il y a de très nombreux acteurs, discours, représentations qui ne sont pas dans l’espace public, ni sujet à médiatisation, et qui jouent pourtant un rôle essentiel dans la société ! »  s'indigne Dominique Wolton dans son texte intitulé "Les contradictions de la communication politique".

Et parions qu'elle est sans doute là, la nouvelle garde politique.

Anne-Claire Ruel

@anneclaireruel

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