Selon les informations de BFM TV, les enfants de Manuel Valls l'accompagnaient dans le Falcon pour assister à la finale de la Champions League à Berlin. Si la communication gouvernementale est toujours de la communication de crise -toutes les situations rencontrées sont par définition anormales à la tête de l'Etat- l'affaire se complique. Les médias raffolent de la polémique et ne vont pas manquer de relayer l'information. Sans compter l'opposition qui ne manquera pas de sauter sur l'aubaine, en rappelant que François Hollande a soutenu son premier ministre. Pour aider les communicants du gouvernement, un petit manuel de survie. Le rappel des grands des grands principes, un peu oubliés dans la précipitation.
La polémique, une pièce en cinq actes
Pour imaginer l'effet déstabilisateur d'une crise, il faut vous l'imaginer une guérilla implacable : surgissant là où on ne l'attend pas ou peu, elle occupe très vite le terrain et met à mal le sang froid des caractères les plus trempés, entraînant des difficultés en chaîne. En jeu, les arguments de Manuel Valls, connu pour être un vrai fan du Barça. L'Oeil du 20 heures rappelle les faits : "Manuel Valls a répété tout le week-end un argument : il avait rendez-vous avec Michel Platini, le président de l’UEFA et potentiel futur président de la FIFA. A Berlin, Manuel Valls a donc joint l’utile à l’agréable. Problème : cette réunion stratégique sur l’Euro 2016 n’apparaît pas dans l’agenda officiel du Premier ministre. A-t-elle été improvisée ? Matignon confirme qu’elle a bien eu lieu."
Dans la plupart des cas, que la polémique concerne une entreprise, des Etats, une institution ou bien même encore une personnalité médiatique, comme aujourd'hui Manuel Valls, elle se joue en cinq actes.
- Acte I, l'événement émerge subrepticement qu'il y ait eu des signes avant-coureurs ou non. Les médias présentent alors l'événement de manière purement factuelle, se bornant parfois à reprendre les dépêches de l'AFP, qui donne encore aujourd'hui le "la" médiatique : "Manuel Valls a utilisé un Falcon 2000 pour se rendre à Berlin et assister à la finale".
- Lors de l'Acte II, l'information explose littéralement, relayée en continu sur les chaînes d'information. Des premières hypothèses sont esquissées. Plus la vitesse d'information s'accélère, plus la désinformation se développe également. Et avec elle, ses conséquences dévastatrices sur l'image de l'homme politique, de l'entreprise, de l'institution ou du pays concerné. C'est la période de tous les dangers.
- Au cœur du troisième Acte : l'événement est commenté, disséqué, analysé sous une myriade d'angles différents et l'information est ainsi mise en scène. Les questions de responsabilité sont alors posées. A l'intrigue principale s'ajoute des intrigues secondaires. Dans notre cas, la présence des enfants de Manuel Valls dans ce fameux Falcon est aujourd'hui évoquée. Alors même que le premier ministre avait contre-attaqué pour expliquer qu'il ne fallait pas donner libre-cours à la polémique.
- Vient ensuite l'Acte IV, celui de la sortie de crise progressive : l'attention médiatique se décristallise peu à peu. Le sujet est relégué en fin de journaux télévisés; les papiers dédiés voient leur nombre de signes diminuer.
- Enfin, le cinquième Acte sert d'épilogue. En fonction de sa nature et de son impact sur l'opinion, "l'événement" peut parfois être "commémoré" par les médias ou rappelé à l'occasion d'affaires similaires. Mais il ne disparaît jamais vraiment. Surtout qu'il touche, en l'état, à la question de l'éthique en politique. Sujet brûlant s'il en est.
La question en jeu, lorsque les faits ne sont pas assumés, c'est l'idée même de l'intention de dissimuler les faits. Ici, il s'agirait plus d'une omission, voire d'une faute morale. Nietzsche décrit parfaitement la réaction de l'opinion publique à ce sujet, même s'il l'applique au mensonge : "Ce qui me bouleverse, ce n'est pas que tu m'aies menti, c'est que désormais, je ne pourrai plus te croire".
En cas de situation sensible, cinq règles, parmi d'autres, s'imposent.
- Il importe d'être réactif, rassembler les faits, préparer un "plan" pour délivrer une information officielle et aussi transparente que possible, plongé en pleine déferlante médiatique. Car les médias ne manqueront pas de reprendre l'information de BFM TV. Il ne faut pas oublier qu'ils sont eux-mêmes soumis à un jeu de concurrence.
- Un impératif : ne jamais sur-réagir. En situation sensible, il importe de prendre la main sur les séquences de communication, tout en montrant votre volonté de tenir informée l'opinion publique.
- Le lieu d'où l'on communique est symboliquement chargé de sens. Là non plus, pas de place à l'imprévu, il fait partie intégrante du message que vous souhaitez transmettre. Attendons de voir la réaction de Manuel Valls lors des questions au gouvernement : interviendra-t-il sur le sujet ?
- Le choix des mots revêt également une importance capitale. Votre message doit donc, bien évidemment, être calibré en amont de toute prise de parole.
- Enfin, l'ensemble des parties prenantes qui peuvent aggraver ou atténuer la tempête médiatique, doivent être prises en compte.
Les mauvais réflexes sont légion lors des situations exacerbées. La question du timing est primordiale : intervenez trop vite dans les médias et vous ne serez pas prêt ; trop tard et vous aurez laissé rumeurs et désinformation enfler. L'un des écueils majeurs ? S'enfermer dans une "tour d'ivoire" et de ne pas communiquer. Le "no comment" est spontanément associé à la culpabilité en matière de communication. Quant à la réponse "indisponible" du staff de communication, elle est interprétée comme un manque de sérénité. Pourtant, si vous n'intervenez pas, quelqu'un d'autre s'en chargera à votre place. Autant maîtriser la situation et raconter votre propre histoire.
Dans un contexte troublé, marqué par une défiance extrême envers les politiques, une omission, même insignifiante, peut devenir une véritable "faute", source de polémique. Pourquoi ne pas reconnaître ses failles lorsqu'on est homme politique ? Pourquoi se faire, encore et encore, piéger par l'emballement médiatique ? L'affaire n'aurait pas fait de bruit si Manuel Valls avait tout simplement assumé immédiatement.
Anne-Claire Ruel
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