Déficit budgétaire : pourquoi les politiques se plantent dans leurs prévisions

Ministère de l'Economie et des Finances (FRED DUFOUR / AFP)

Bercy s’essaie tous les ans à faire du Nostradamus. Lors de l’examen de la loi de finances, le ministère des Finances fixe ses objectifs de croissance, qui vont conditionner son annonce des prévisions de recettes et de dépenses publiques. Et donc le niveau attendu du déficit public. L’exercice est difficile. Il est si difficile que Bercy manque régulièrement sa cible, sauf exceptions. Nous avons mené une étude sur les écarts entre les déficits prévus et les déficits réalisés depuis 1974.

Deux enseignements. Le premier, c’est que le plus souvent, les politiques pêchent par excès d’optimisme. Le deuxième enseignement, c’est que la gauche se trompe plus souvent que la droite. Et avec davantage de mauvaise foi. Nous allons vous montrer pourquoi en vous révélant les détails de l’étude dans ce post. Voici les conclusions auxquelles nous sommes parvenus.

1. Les politiques sont trop optimistes

Depuis 1974, dans plus de 3 cas sur 5, le déficit constaté a été supérieur au déficit initialement prévu par la loi de finances, comme le montre le graphique ci-dessous.


Depuis cette même année, 1974, c'est-à-dire celle du choc pétrolier, tous les exercices budgétaires ont été marqués par des déficits. Mais il faut distinguer plusieurs périodes.

Jusqu’au début des années 1980, la taille des déficits est relativement limitée, puisqu’elle est inférieure à 6 milliards d’euros. Les déficits réalisés dépassent toujours les prévisions, sauf en 1980 (avec environ 130 millions d'euros de moins qu'attendu). Notons que 1974 sera la dernière année où la France affichera un excédent, de surcroît plus fort qu'attendu (plus de 825 millions d'euros).

Entre 1986 et 1989 en revanche, ce sont quatre années de plantages successifs : les déficits, désormais autour de 20 milliards d’euros, sont systématiquement inférieurs aux prévisions.

De la crise de 1993 à 2007, les déficits continuent de se creuser et atteignent les 40 milliards d’euros en moyenne mais les prévisions sont, dans 60% des cas plus pessimistes que les déficits réellement constatés.

Problème : les « cagnottes » ainsi dégagées ne sont pas utilisées pour réduire la dette, mais elles sont redistribuées… ce qui alimente la dépense publique et les déficits, et in fine la dette. Cercle infernal. Depuis la crise de 2008 en revanche, les prévisions ont été systématiquement inférieures aux déficits constatés. Le graphique ci-dessous résume ces 40 années.

2. Les politiques font preuve de mauvaise foi

Comment expliquer cette tendance chronique des politiques à minorer les déficits ? Erreur technique ou mauvaise foi caractérisée de la part des différents gouvernements qui se sont succédés ? Nous avons dégagé trois facteurs d’explication, en nous fondant sur les travaux de l’économiste et statisticien Henri Theil.

Premier facteur : le « biais systématique », dans le jargon des économistes. Un gouvernement va chercher par exemple, à minorer ses déficits parce qu’il anticipe qu’ils vont de toutes façons dépasser les niveaux tolérés. En gros, c’est une erreur volontaire qui poursuit un objectif de politique économique : ici, par exemple, faire semblant de se conformer aux exigences européennes tout en sachant que ce ne sera pas le cas in fine. Ou encore pour ne pas plomber le moral des ménages et des entreprises et éviter qu’ils anticipent une politique d’austérité, et cessent de consommer ou d’investir. Enfin une lecture politico-économique mettant en exergue la contrainte de réélection peut justifier aussi cette sous-estimation. L'austérité n'est pas vendeuse en période pré-électorale.

Deuxième cause d’explication de ces erreurs de prévision : l’erreur technique. L’administration dispose de modèles économiques imparfaits, ou ne sait pas s’en servir correctement parce qu’elle a mal diagnostiqué la situation économique à laquelle le pays doit faire face.

Troisième facteur, et là encore nous allons utiliser du jargon statistique: « l’aléa », c'est-à-dire l’erreur aléatoire pure. Autrement dit, les chocs extérieurs qui sont par nature imprévisibles : une catastrophe naturelle, une crise financière, une guerre.

Il existe donc une « bonne » erreur de prévision : c’est la troisième. Les deux autres sont « mauvaises ». Bien sûr, dans la réalité, une erreur de prévision est le plus souvent un mix des trois causes.

3. La gauche est plus douée, mais moins sincère que la droite

Sur la période étudiée, le « biais » explique 13% des erreurs de prévision, l’erreur technique 23% et l’aléa 64%. Avec l’entrée dans la crise, les politiques ont été tentés de biaiser les prévisions.
La sous-estimation des déficits est partagée par les deux camps de l’échiquier politique, mais la droite est globalement moins douée que la gauche pour jouer les Nostradamus. Autrement dit, elle se trompe plus souvent. Mais la gauche le fait avec plus de mauvaise foi… C’est ce que montre le tableau ci-dessous.


Les gouvernements les plus sincères et les plus performants depuis 1974 en matière de prévision des déficits ont été ceux de Jacques Chirac de 2002 à 2007. Le pourcentage moyen d’erreur dû à l’aléa est de 98%. Pour les gouvernements de Nicolas Sarkozy, la cause « aléa » n’atteint que 40%, alors que la mauvaise qualité des prévisions atteint 57%. La mauvaise anticipation de la crise qui s’est déclenchée fin 2007 est ici manifeste. Cependant, les gouvernements les moins sincères sont ceux de François Hollande : avec une absence d'erreur due à l’aléa et une erreur manifeste de 88%.

Cette étude démontre que les gouvernements parviennent de moins en moins à tenir leurs prévisions. Ce qui ruine leur crédibilité vis-à-vis des agents économiques, entreprises comme consommateurs, vis-à-vis des électeurs, et vis-à-vis de la Commission européenne.

Pour l'étude complète sur 1954-2013 voir: http://www.electionscope.fr