Les prélèvements obligatoires et la dépense publique, ces ennemis de la croissance…

Reuters/Philippe Wojazer

Lors de la campagne présidentielle de 2012, François Hollande et ses conseillers économiques de l’époque ont défendu l’idée selon laquelle la France pouvait supporter un taux de prélèvements obligatoires plus important. C’est ainsi que les allègements d’impôts consentis par le gouvernement sortant étaient remis en cause.

 

Jugés inefficaces en termes de croissance, les allègements d’impôts apparaissaient comme un cadeau fait aux « riches ». Il apparaissait dès lors indispensable de retourner aux fondamentaux, d’ailleurs plus neo-keynésiens que keynésiens[1], c'est-à-dire relancer l’activité économique par une dépense publique financée par l’accroissement des prélèvements publics obligatoires (PPO) sur « les plus favorisés » à savoir classes moyennes « supérieures », (mais où commencent-elles et où finissent-elles ?), sur les détenteurs du capital, et sur les entreprises. En cas de victoire à la Présidentielle on allait au surplus persuader Angela Merkel que la recherche permanente de l’équilibre budgétaire au niveau européen n’apporterait qu’une chose, la récession voire, au mieux, une croissance atone.

 Sous ces auspices, tout était écrit, les crises de 2008 et de 2010 n’auraient été qu’une vue de l’esprit et l’inversion de la courbe du chômage en France ne ferait plus de doute. C’est ainsi que le candidat Hollande a pu fédérer les « deux gauches », la gauche « tribunicienne » et la gauche « gestionnaire » autour de son projet dont la synthèse a été énoncée dans le discours du Bourget du 22 janvier 2012.

Virage social-libéral

Pourtant en annonçant le pacte de responsabilité, qui sera complété plus tard par le pacte de stabilité en avril 2014 après la nomination de Manuel Valls, #François Hollande amorce un tournant social-libéral et annonce la mise en place d’une politique de l’offre alliant baisse des charges pour les entreprises et réduction des dépenses publiques pour un montant de 50 milliards d’euros. Seule infraction notoire à ce type de politique, la baisse des charges se fera en contrepartie d’embauches.

Pourquoi François Hollande a-t-il eu raison de tourner le dos à la politique de la demande, pratiquée à des degrés divers par tous les gouvernements qui se sont succédés, depuis 1981 ?[2]

 Une hausse continue des prélèvements publics obligatoires (PPO) depuis 50 ans : Quel effet sur la croissance ?

Lorsqu’on observe depuis 1958 les trajectoires respectives des prélèvements publics obligatoires (PPO = impôts et prélèvements sociaux) et du taux de croissance du PIB (en volume), on constate une tendance résolument inverse de ces deux variables. Sur toute la durée de la Vème République, on peut ainsi estimer qu’une hausse moyenne de 1 point de la pression fiscale (mesurée par les PPO)  coïncide avec une baisse de la croissance de 0.33 point par an (Voir graphique 1). Seules exceptions, les périodes 1987-1990 (sous Chirac (PM) puis Rocard (PM)), 2000-2003 (sous Jospin (PM) puis Raffarin (PM)  et 2006-2009 (sous Villepin (PM) puis Filllon (PM)) où les PPO ont connu une inflexion continue avant de rebondir à la hausse. En réalité, qu’ils soient de droite ou de gauche, les dirigeants politiques français ont toujours eu le même réflexe correspondant au même schéma théorique que l’on peut résumer par la formule anglo-saxonne « Spend and Tax » (d’abord dépenser, prélever ensuite). Pour relancer la croissance, on mobilise la dépense publique, conformément aux mécanismes attendus du multiplicateur de dépense publique « keynésien », ce qui suppose un accroissement des #prélèvements obligatoires pour ne pas aggraver les déficits et ce avec d’autant plus d’intensité depuis l’entrée en vigueur du traité de Maastricht.

PPO et croissance (Graphique 1)

 

L’inexorable croissance des dépenses publiques

Mais une question se pose alors : l’usage continu de la dépense publique a-t-il eu au moins quelques effets sur la croissance dans le long terme ? Sur longue période le constat est clair : l’inexorable croissance des #dépenses publiques [3], évoluant par pallier selon un « effet de cliquet » (qui empêche tout retour en arrière), va de pair avec la baisse tendancielle et continue de la croissance. Depuis 1958, un point par an de hausse du ratio dépenses publiques sur PIB coûte en moyenne un quart de point de croissance (voir graphique 2).

 dépenses publiques (Graphique 2)

 

 

 

Plus l’Etat grossit et plus on détruit de la croissance

Autrement dit, sur long terme plus l’Etat croît et prélève et plus on détruit de la croissance. Le problème ce n’est plus d’abord la demande mais bel et bien l’incitation à travailler, à produire, à prendre des risques et à innover.

La prise de conscience de François Hollande et de Manuel Valls est par conséquent salvatrice. La politique de l’offre si souvent caricaturée est la solution. Reste que malheureusement les effets d’annonces du couple de l’exécutif ne sont pas encore suivis d’effets. Pire, l’annonce crédible d’une politique de l’offre doit s’accompagner d’une baisse concomitante de la dépense publique et des charges, or, les prévisions budgétaires pour 2014 vont être enfoncées et l’objectif de déficit à 3% est reporté à 2017, preuve s’il en est que les dépenses publiques ne sont pas maîtrisées.

Le fond du problème est que François Hollande semble craindre de couper définitivement le cordon ombilical avec la gauche tribunicienne représentée au PS par les « frondeurs ». De même, il semble avoir des difficultés à assumer le reniement des ses engagements de campagne. D’où l’annonce récente par Manuel Vals d’un effort supplémentaire sur les petites retraites, la sortie de 9 millions de français de l’assiette de l’IR et la difficulté à annoncer en quoi consisteront les 50 milliards de coupes budgétaires. Tout se passe comme si l’on essayait de panser les plaies

Une situation schizophrénique … et la nécessité de trancher pour François Hollande

Sans clarté sur la cohérence temporelle des engagements pris le 14 janvier, il ne peut plus y avoir d’annonces crédibles. Le Président devra trancher, une situation, il est vrai relevant de la schizophrénie : trahir ses engagement du Bourget et les « frondeurs » au bénéfice des entreprises en baissant les charges et la dépense publique ou trahir les entreprises en ménageant les électeurs de gauche jusqu’en 2017 en creusant la dette et les déficits, ce qui empêcherait de fait la réussite d’une « vraie » politique de l’offre.

Le Président doit donc passer aux actes et engager les réformes de structure nécessaires pour desserrer l’étau de la dépense publique et des prélèvements obligatoires. Il sera certes délicat de toucher aux dépenses d’investissement et aux dépenses de transfert en période de crise. Mais restent les dépenses de fonctionnement et la réforme de l’Etat lato sensu avec pour finalité de mieux dépenser et de mieux gouverner tout en ayant à l’esprit la formule de Paul Valéry : si l’Etat est fort il nous écrase, s’il est faible nous périssons.

 

[1] Contrairement aux idées reçues Keynes était un libéral pragmatique qui a su à son époque diagnostiquer ce qui relevait des crises d’offre ou de demande, comme ce fut précisément le cas dans les années 1930. Néanmoins, le recours au déficit et à la dépense publique ne devaient être que transitoires, ceci jusqu’au rétablissement de la demande intérieure.

[2] A quelques exceptions près : Laurent Fabius (Premier ministre) en 1984, Jacques Chirac (Premier ministre en cohabitation) en 1986, Pierre Bérégovoy (Premier ministre) en 1992 et Laurent Fabius (en tant que ministre des finances de Lionel Jospin) en 2000 tenteront de libérer l’offre via une baisse des impôts et des charges combinée à la réduction de la dépenses publique.

 

[3] Formule de l’économiste français Jacques Lecaillon