Les livres de la spéciale "Verdun, la Paix" (3) : le mythe Pétain

Je ne vais pas le présenter, encore... Si vous êtes habitué de nos éditions spéciales, ce qui n'est pas la moindre de vos qualités, vous n'ignorez presque rien de Pierre, Officier de réserve, historien, journaliste, collectionneur (demain dimanche, à partir de 10H15 sur France 2, il extraira une nouvelle fois quelques trésors de son musée personnel pour les commenter en plateau).

Photo Lamontagne.fr

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Le mythe Pétain, par Pierre Servent, Biblis

Comment le héros victorieux de 1916 et de 1918 est-il devenu le défaitiste de 1940 ? Comment les Français ont-ils exalté le sacrifice des leurs dans l'image d'un seul, avant de lui confier l'organisation de leur humiliation ? L'histoire que nous conte Pierre se déroule de février 1916, le début de la boucherie meusienne, à l'automne 1940, quand si peu de Français doutaient du Maréchal.

Déconstruire le mythe Pétain, c'est d'abord raconter ce que Verdun lui doit et ce qu'il doit à Verdun. Lecture passionnante, surtout lorsqu'on vient de refermer le récit du maréchal lui-même (https://blog.francetvinfo.fr/editions-speciales-les-coulisses/2016/05/26/les-livres-de-la-speciale-verdun-la-paix-1-petain-raconte-son-verdun.html).

comités secrets

Pierre Servent a pu consulter les compte rendu des réunions huis clos de la Chambre des députés. La troisième République permettait que les parlementaires entendent en secret les explications du gouvernement. Le 22 juin 1915, Briand essuie les critiques de l'opposition face aux erreurs du haut commandement. Dans le cénacle la chose est entendue, il faut changer des têtes et s'ouvrir à des idées nouvelles. L'opinion, elle, commence sérieusement à douter de la victoire et pleure désormais un nombre inédit de morts. C'est ce contexte de "comités secrets" qui sert de lit à la recherche de la perle rare, celui qui va savoir exercer le changement salutaire.

L'auteur décrit les désaccords stratégiques de Joffre et de Pétain, hostile au culte de l'offensive et de la percée. Chacun connaît la suite, C'était second qui avait raison. Sa victoire à Verdun (ou celle de ses successeurs puisqu'il avait été écarté) est d'autant plus marquante que Briand avait fait de Verdun un hyper symbole dès le début de l'offensive allemande. Pétain n'a pas eu à créer le mythe. Celui-ci le devançait. D'autre part cette victoire, ou plutôt cette non-défaite, est suivie de la faillite totale du chemin des dames. Il est alors acquis que bien peu d'hommes sont capables... La recherche de sauveurs débouche sur trois noms, dont deux seront les champions toute catégories, avec De Gaulle, du nombre de plaque de rues et places à leur mémoire : Clemenceau, Foch et Pétain, proclamé officiellement "sauveur de Verdun" par la République le 25 août 1917.

Foch contre Pétain, la course au mythe

Mais comparé à Clemenceau et surtout à Foch, Pétain a une corde à son arc dont les autres sont dépourvus : la proximité, feinte ou réelle, avec les troupes, et cette idée d'équilibre entre sévérité et compassion (image qu'il entretient encore dans son récit de la bataille de Verdun en 1929). "Pétain a su réorganiser et fournir au fougueux Foch un instrument apte à la reconquête", écrit Pierre Servent. Certes, Pétain ne sera pas, sur son cheval blanc, au premier rang du défilé de la victoire. Mais "la bataille à laquelle son nom est indéfectiblement attaché a atteint (...) la dimension d'un mythe". Pétain l'ambitieux est patient et ne commettra aucune erreur après guerre.

D'abord, il refuse d'adhérer à un parti et de se faire élire au Sénat. Il n'a qu'un capital : son statut de sauveur. Il ne faut pas l'abimer. Quand commence l'après guerre ? Plusieurs historiens considèrent que ce sont les grandioses funérailles de Foch, en 1929, qui marquent l'entrée du pays dans une nouvelle ère. On est persuadé que la paix est durable, l'économie est florissante, la cohésion nationale forte. Pétain, lui, est entré, à la place de Foch, à l'Académie Française. Il est une figure morale, multiplie les discours mémoriel, selon le terme d'aujourd'hui. Il n'a plus de concurrent parmi les "grands" maréchaux de guerre.

Le maréchal républicain

Aussi peut-on voir dans le chaos de la décennie suivante la reproduction en grand du désastre militaire des premiers mois de Verdun, lorsque le commandement cherchait les hommes providentiels dans l'urgence, quitte à les déranger, comme Pétain, dans les bras de leur maîtresse. Crise de 1929 (De 1930 en France), échec du Front Populaire, montée des périls, défaite express. Le chaos appelait, dans la tradition politique française, un sauveur. Pétain, là-encore, n'a pas eu à construire son mythe, ni même à mener campagne, juste à ne jamais commettre d'erreur, et à entretenir l'amour que lui portait la droite et l’extrême droite, et le respect qu'il inspirait à la gauche ("le maréchal républicain").

"Faut-il l'appeler encore ?" titre le magazine de gauche Vu en 1935, l'année clef d'une campagne naissante en faveur de l'entrée en politique du "sauveur de Verdun". Quelques mois auparavant, écrit Pierre Servent ", le petit Journal [avait lancé] un référendum auprès de ses lecteurs pour savoir quelle est la personnalité française la plus apte à devenir un dictateur à la romaine. (...) le nom de Philippe Pétain est le premier des quarante noms proposés". la presse de droite s'est trouvée une figure tutélaire, la gauche accepte l'idée d'un recours incarné.Pendant ce temps, Philippe Pétain dit en privé que l'idée de diriger le pays "lui fait horreur".

Non seulement Pétain ne fait pas campagne, même "s'il veille toujours à ce que ses mérites ne soient jamais oubliés", mais plusieurs de ses proches collaborateurs s'inquiètent pour sa santé, notant "des moments d'absence" lorsque le maréchal est nommé ambassadeur de France dans l'Espagne de Franco. En fait, tout, dans le comportement du militaire glorieux, indique qu'il attend et espère qu'on l'appelle, non pas pour des missions ou des honneurs, mais pour endosser les pleins pouvoirs. Cet espoir ajouté à sa santé chancelante n'échappe pas au colonel Charles De Gaulle : "Maintenant, il acceptera n'importe quoi tant est grande son ambition de vieillard".

Cincinnatus

Si "la France est au bord de l'abîme", comme il l'écrit à plusieurs reprises, alors il peut la sauver, en se sacrifiant pour elle, en se confondant avec elle.  Pierre Servent, comme d'autres historiens, rapproche le mythe Pétain, désormais établi, de celui de Cincinnatus, ce héros du premier siècle de la République romaine, réputé pour sa probité et sa modestie, élu dictateur à deux reprises sans l'avoir cherché.

De sauveur, le maréchal se fera "rédempteur", selon le mot de l'auteur, et interrompra la République. Le récit de Pierre Servent s'arrête là. Il est nerveux, précis, complet, et détaché de la vision souvent  trop gaullienne (et donc parfois anachronique) de nombreux commentateurs.

Pascal Doucet-Bon

 

 

 

Publié par Pascal Doucet-Bon / Catégories : Non classé