"Verdun, la Paix". C'est le titre que j'ai choisi pour cette deuxième édition spéciale de l'année consacrée à Verdun. La première marquait le début de la bataille le 21 février, celle-ci reprend la date choisie par le général De Gaulle pour commémorer le cinquantenaire en 1966. Verdun le Général connaissait bien pour avoir combattu pas très loin. Il ne souhaitait certainement pas y revenir en hiver...
Nous serons à l'antenne à partir de 10h15 le matin et 14h00 l'après midi (après un numéro du magazine 13h15 consacré au martyre de la butte de Vaucquois). Comme toujours, j'essaye de vous faire partager mes lectures préparatoires. Je commence par l'un des acteurs principaux : Philippe Pétain lui-même.
La bataille de Verdun, par Philippe Pétain, Tempus, Perrin, 2015
Parce qu'il fallait bien qu'il écrive... En 1929, Philippe Pétain, héros de Verdun s'est piqué d'entrer à l'Académie Française. Problème : il n'avait pas écrit de livre, sinon des traités militaires. D'où cette évidente "bataille de Verdun" où le maréchal raconte chronologiquement la bataille, et justifie ses décisions par ses conceptions militaires en rupture avec les états majors de son temps. Joffre et Foch avaient eu dès 1918 leur place sous la coupole. "Mais à peine Foch est-il mort, le 20 mars 1929, qu'on parle déjà de Pétain pour le remplacer", écrit Bénédicte Vergez-Chaignon, qui signe la préface de cette édition. "On le dispense de faire acte de candidatures, (...) des précautions sont prises pour qu'il n'y ait ni autre candidat, ni le moindre contretemps. un vote à l'unanimité est garanti". Pétain est donc entré sans souci à l'Académie Française avec cet ouvrage dans lequel il "travaille" son image, faîte de modestie, de compassion, et de convictions stratégiques.
Pourquoi Verdun ?
""Saigner" l'armée française ne représentait pas (...) un but plausible et suffisant", écrit Pétain, en réponse aux mémoires de son adversaire von Falckenhayn, écrite après la guerre. Le maréchal ne croit pas aux motivations psychologiques du stratège allemand. Il croit au contraire que le commandant suprême attachait une haute importance stratégique à Verdun, qu'il a choisie pour frapper un grand coup et percer vers Paris.
L'analyse de Pétain est certes rationnelle (de nombreux historiens considèrent aujourd'hui que "saigner l'armée française", le soi-disant but de Von Falckenhayn, est une construction a posteriori), informée (il oppose les souvenirs du Kronprinz à ceux du général) mais elle sert aussi sa légende déjà bien établie en 1929. Si Verdun était un secteur capital, alors le maréchal a bel bien sauvé la France.
Il ne nie pas pour autant le caractère symbolique de Verdun "qui ne devait pas être un nouveau Sedan". "Le boulevard moral de la France", écrit-il.
Au passage, Pétain dresse avec froideur l'ampleur de l'erreur française qui n'a pas su voir venir l'offensive, malgré les avertissement de Driant. Il reste factuel, ne verse jamais dans la rancœur ; une sobriété assassine pour ses prédécesseurs.
Compassion
Il n'y a aucune raison de ne pas croire le maréchal lorsqu'il décrit son désarroi devant la souffrance de ses soldats. "Qui dira jamais ce que signifiait cette expression, "tenir", et ce qu'elle impliquait de force morale et de surhumaine volonté chez nos soldats ? Il n'était pas de tâche plus ingrate que celle qui fut le plus souvent la leur". Mais la construction d'image n'est jamais loin. Pétain n'hésite pas à commencer son livre par l'hommage que lui rendit Pershing : "... La douleur de celui qui commandaient ces hommes a été trop souvent oubliée de ceux qui commentent ces batailles". Avant les convictions stratégiques, voilà ce que le maréchal souhaite dire ou faire dire de lui-même.
Stratégie
Pétain tient aussi à confirmer sa rupture stratégique avec ses pairs et leur culte de "l'offensive à tout prix", selon les termes de Bénédicte Vergez-Chaignon,et de la "percée miraculeuse". Il rappelle aussi que c'est lui, en 1917, qui mit fin à la crise que traversait l'armée par sa bienveillante sévérité.
La construction du mythe
Quand il écrit son ouvrage et rassemble ses discours, le maréchal savait bien que l'oeuvre serait un succès. Il avait été courtisé par tous les éditeurs. Il connaissait l'enjeu, bien au delà de son entrée parmi les Immortels. Pétain construisait son mythe avec précision et sobriété. "les lecteurs d'aujourd'hui" écrit Bénédicte Vergez-Chaignon, "reconnaîtront [dans ce livre] la trace indélébile d'une communion nationale incarnée en un homme et qui devait peser lourd en 1940".
Pascal Doucet-Bon