"Vos enfants terribles !" est un guide pratique destiné aux parents et découpé en plusieurs chapitres. Le chapitre 1 avait pour but de décrypter les "crises" de vos enfants.
Chapitre 2 : zoom sur la punition
A la suite de la publication du premier chapitre, j'ai reçu de nombreux commentaires de parents sur la façon de gérer les "crises" de leurs enfants. Certains de ces commentaires étaient assez catégoriques :
- "Une bonne fessée, ça remet les idées en place"
- "Une bonne paire de tartes… et hop, ça pleure pour quelque chose"
- "Une bonne correction (…)", etc.
Ces quelques suggestions de parents visent je suppose à stopper les "crises". Or, agir ainsi ne permet pas de stopper le problème, cela peut même l'amplifier. Avant l'âge de 5 ou 6 ans, les réactions de votre enfant sont en effet impulsives parce qu'il ne peut pas gérer ses émotions. Néanmoins, cela ne vous dit pas comment réagir lorsque votre enfant se conduit mal. Prenons un exemple : vous offrez à votre fils de 2 ans une boîte de feutres qu'il s'empresse d'utiliser pour dessiner… sur votre beau canapé en cuir ! Vous pourriez alors le gronder ou lui donner "une bonne correction". Vous diriez alors que vous avez puni votre enfant…
La punition, c'est quoi ?
Dans son usage populaire, la punition est en effet considérée comme une sanction dont l'objectif serait de faire comprendre à votre enfant que ce qu'il a fait n'est pas bien et qu'il ne doit pas recommencer. Cependant, la psychologie expérimentale nous offre une définition plus pragmatique de la punition. Pour la science, une procédure de punition doit en effet entraîner une diminution de la probabilité d'apparition de ce comportement1. Ainsi, si votre enfant recommence à gribouiller sur le canapé malgré plusieurs "paires de tartes", vous devrez en conclure que celles-ci ne sont pas punitives.
Vulgairement, le terme de punition sous-entend également que vous devez réagir avec une certaine virulence pour que votre enfant soit dissuadé de recommencer ses bêtises (en faisant les gros yeux, en haussant le ton, en le privant de dessert, bref en "marquant le coup"). Mais encore une fois, une définition pragmatique de la punition ne requiert pas nécessairement que vous montiez sur vos grands chevaux. La seule exigence est que la sanction doit être vécue par votre enfant comme un évènement aversif. En d'autres termes, vous pouvez obtenir une diminution plus ou moins durable de son comportement tout en restant relativement neutre dans vos interventions. Par exemple : votre enfant gribouille sur le canapé. Vous lui expliquez alors qu'il ne doit pas faire ça, que cela est interdit, etc. et que si il recommence vous lui confisquerez ses feutres. Si après vous avoir écouté attentivement, votre fils recommence à griffonner le canapé, vous mettrez alors votre annonce à exécution en lui confisquant ses feutres. Il y a alors fort à parier que les prochaines fois où il utilisera ses feutres, il réfléchira à deux fois avant de décorer votre canapé, et cela pour une raison simple : le retrait du feutre risque de ne pas du tout lui plaire ! Dans cette exemple, pour obtenir un effet sur le comportement de votre enfant, il n'aura donc pas été nécessaire de lui crier dessus, et encore moins de le taper2.
Les critères d'efficacité de la punition et ses inconvénients
C'est donc parce que la sanction entraîne chez votre enfant des conséquences émotionnelles désagréables qu'elle a un effet d'apprentissage (votre enfant apprend à ne plus écrire sur votre canapé car ce comportement a été suivi d'un évènement aversif). Cependant, cette condition n'est pas suffisante. Il y a en effet 3 règles à respecter pour optimiser l'efficacité de la sanction :
1. La règle de l'immédiateté : si la sanction ne tombe pas dans les 3 secondes qui suivent le comportement, ses effets d'apprentissage commencent à diminuer. Par exemple : vous rentrez dans votre salon et constatez que votre fils a peinturluré votre fameux canapé. Si vous lui flanquez une paire de claques trop longtemps "après la bataille", il est plausible que cela ne lui apprenne rien. Soit dit en passant, c'est tout le problème de la plupart des sanctions infligées aux citoyens et dont les effets dissuasifs restent relativement faibles (voir par exemple les contraventions envoyées par courrier aux automobilistes plusieurs jours après l'infraction).
2. La règle de la consistance : les effets répressifs d'un stimulus punitif sont maximisés si les sanctions tombent systématiquement après chaque bévue (plutôt que si elles sont discontinues). En effet, si votre enfant sait que vous ne laisserez rien passer, il aura tendance à se tenir à carreau. De plus, lorsque vous dites à votre enfant de ne pas écrire sur le canapé, il est souvent plus payant d'accompagner la règle verbale d'une redirection physique, car l'enfant comprend mieux des limites concrètes. Montrez les choses plutôt que de simplement les dire !
L'un des problèmes avec ces 2 règles, c'est qu'elles vous obligent à être tout le temps derrière votre enfant. Car dès que vous lui tournerez le dos, il risquera de récupérer rapidement ses mauvaises habitudes.
D'autres inconvénients peuvent accompagner la punition, en provoquant par exemple chez votre enfant des réactions agressives, des comportements d'évitement, ou du contraste comportemental3. Les réprimandes violentes sont en outre un modèle légitime que vous donnez à votre enfant et qu'il sera donc susceptible de reproduire sur autrui. Si la réprimande est trop fréquente, on peut aussi observer une perte progressive de son effet (c'est le phénomène d'habituation). Il peut même arriver qu'une sanction entraîne l'effet inverse de celui recherché, c'est-à-dire une augmentation du comportement de votre enfant que vous cherchez à faire disparaître (c'est souvent le cas dans les modèles éducatifs où la sanction est la seule forme d'attention donnée par le parent à son enfant). Plus spécifiquement, les réprimandes orales peuvent avoir des effets contre-productifs. Une sanction trop mordante peut également vous faire culpabiliser, surtout si vous considérez qu'avoir une bonne relation avec votre enfant est quelque chose d'important à vos yeux. Enfin, même si la sanction informe votre enfant de ce qu'il ne peut pas faire, cela ne lui dit pas ce qu'il peut faire à la place.
Malgré tous ces inconvénients inhérents à la punition, il vous est difficile de ne pas réagir avec frénésie en voyant votre enfant ruiner votre canapé. Et cela pour une raison simple : la fonction première d'un bon coup de gueule est bien souvent de vous soulager. En neurosciences, on connaît bien les mécanismes neurobiologiques qui sous-tendent ce « soulagement » : empêcher votre enfant de dessiner sur le canapé ou de mettre ses doigts dans la prise déclenche chez vous une libération de dopamine du fait d'un meilleur ajustement social ou d'une optimisation de la survie de votre enfant. Sans ce mécanisme neurologique, pas de transmission chez votre enfant des comportements nécessaires à sa meilleure adaptation.
Mais alors comment faire pour apprendre les bonnes manières à votre enfant tout en minimisant les effets collatéraux de la punition ? C'est là qu'entre en jeu la troisième règle…
3. La règle du "5 pour 1" : Si votre enfant ne peut décidément pas s'empêcher de dessiner sur votre canapé, c'est qu'il en retire un certain bénéfice. Et plus ce bénéfice est important, plus votre enfant sera motivé, et donc moins votre sanction sera efficace. Pour le dire autrement, c'est comme si votre sanction était mise en concurrence avec les effets gratifiants que votre enfant récolte de sa bêtise ! En fait, et ce que je vais vous annoncer maintenant ne va pas vous plaire, vous ne pourrez pas réussir à désapprendre complètement les comportements inappropriés de votre enfant. La seule chose que vous pouvez faire, c'est de permettre à votre enfant de vivre de nouvelles expériences de jeu, et ainsi remettre en concurrence les bénéfices de ses bêtises avec ceux de jeux plus adaptés. Concrètement, lorsque vous surprenez votre enfant en train de dessiner sur ce fichu canapé, redirigez-le vers un autre support (une feuille de papier par exemple) en lui spécifiant ce qu'il est autorisé à faire. Ensuite, appliquez-vous à intervenir de façon préventive en apportant de l'attention à votre enfant dès qu'il jouera à tout un tas de jeux autorisés. C'est la règle du "5 pour 1" : dans une journée, si vous montrez à votre enfant des comportements de jeu alternatifs, que vous l'y encouragez en le valorisant, et qu'en parallèle vous lui interdisez des façons de jouer inappropriées dans un ratio de "5 pour 1", vous aurez toutes les chances de le voir mieux respecter vos interdits4.
En résumé…
Préférez des sanctions neutres5, en les associant avec un apprentissage de compétences de jeu alternatives (privilégiez un ratio répression / interactions positives largement en faveur des interactions positives). Une bonne "combinaison" pourrait donc ressembler à ça : des valorisations fréquentes, quelques réprimandes soft, et d'exceptionnelles sanctions plus hard (réservées par exemple dans les cas où votre enfant se met en danger). Vous augmenterez ainsi l'efficacité de vos sanctions, tout en épargnant à votre enfant des réactions émotionnelles inutiles.
A suivre dans le chapitre 3 : augmenter les interactions positives avec votre enfant à travers le jeu…
Renvois :
- On dit que les stimuli punitifs ne sont pas définis par leurs propriétés physiques, mais par leur fonction. La définition du mot "punition" selon un analyste du comportement est donc relativement éloignée de sa signification populaire, à tel point que certains chercheurs français préfèrent employer le néologisme "punissement".
- Etant donné les dernières dispositions légales en matières de violences physiques sur les enfants, vous avez d'ailleurs tout intérêt à ne pas trop vous enflammer ! Il ne s'agit pas de blâmer le parent qui lève la main sur son enfant. L'idée ici est simplement de rappeler qu'il existe des alternatives plus soft et tout aussi efficaces aux "violences éducatives ordinaires".
- Si l'enfant dessine sur le canapé et qu'il est grondé par papa, mais pas par maman, alors il est probable qu'en l'absence du papa il se mette encore plus à gribouiller le canapé.
- On peut relier cette façon de faire à la théorie évolutionniste : en encourageant votre enfant à s'engager dans des comportements différents, vous créez de la variation comportementale et augmentez donc les chances que ses nouvelles actions soient sélectionnées par des conséquences bénéfiques et donc maintenues.
- Une certaine neutralité dans vos réactions comporte également l'avantage de moins cristalliser vos propres émotions, et vous aide donc à vous focaliser sur l'essentiel : les interactions positives avec votre enfant.
Références principales :
Cooper, J. O., Heron, T. E. et Heward, W. L. (2007). Applied Behavior Analysis. Pearson.
Monestès, J. L. (2010). Changer grâce à Darwin. Paris : Odile Jacob.