Le droit à la déconnexion, c’est quoi ?
Aujourd’hui, vous pouvez consulter vos e-mails presque partout et tout le temps. La frontière entre votre vie professionnelle et votre vie privée est donc maintenant bien plus perméable qu’autrefois. Le « droit à la déconnexion » a justement été mis en place pour donner aux salariés la possibilité de ne pas être joignable et de pouvoir « se couper » de sa messagerie en dehors des heures de travail.
Que dit la loi ?
Depuis le 1er janvier 2017, un nouvel article a donc été ajouté dans le code du travail qui demande aux entreprises françaises de plus de 50 salariés de négocier des règles de déconnexion en dehors des heures de travail (Article L2242-8 du code du travail, Paragraphe 7), même si aucune sanction n’est prévue pour les entreprises qui ne mettraient pas en place cette négociation.
Le droit à la déconnexion est-il un moyen efficace d’améliorer la qualité de vie au travail ?
L’objectif annoncé de cette législation est « d'assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale » des salariés. Pour un psychologue, cette législation est pertinente si elle permet de préserver le bien-être des salariés. Or, à ma connaissance, rien ne prouve qu’une connexion pendant les temps de repos et de congé soit néfaste pour la santé. A l’inverse, on pourrait même faire l’hypothèse suivante : est-ce qu’empêcher un salarié de traiter ses e-mails sur son temps personnel ne pourrait pas, dans certains cas, être néfaste pour sa santé ? En réalité, la question est complexe et demande une analyse détaillée…
Les limites de la législation
Le texte de loi indique que les entreprises doivent négocier « les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l'entreprise de dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques (…) ». Sous-entendu, il suffirait que le salarié décide de ne plus être sollicité en dehors de son travail et que son entreprise modifie les configurations d’accès au web pour que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais d’un point de vue psychologique, ce postulat de départ est déjà erroné : les comportements de l’être humain ne sont en effet pas uniquement déterminés par son seul libre arbitre…
L’individu est-il vraiment libre de se déconnecter ?
Prenons l’exemple du salarié pour lequel il est bénéfique de profiter de son temps libre et de sa famille et qui souhaite ne plus être sollicité en dehors de ses heures de travail. Dans le cadre d’une négociation avec son entreprise, il pourrait donc voir son droit à la déconnexion concrétisé, en configurant par exemple sa messagerie de telle sorte que les e-mails qui lui sont envoyés le week-end ne soient reçus que le lundi. Si l’on s’en tient à cette simple analyse, on pourrait donc penser qu’un droit à la déconnexion est a priori une bonne chose pour lui, car il éviterait des contraintes stressantes potentiellement néfastes pour sa santé (notion populaire de « burn-out »). Mais les choses ne sont pas si simples…
Tout d’abord, il faut prendre en compte que l’individu est aussi influencé par son groupe social. Ainsi, même si certains salariés peu motivés à rester connectés en dehors des heures de bureau pourront bénéficier d’un droit à la déconnexion, il leur faudra encore supporter ce que l’on pourrait appeler la « pression de la norme » : savoir que certains de ses collègues n’exercent pas leur droit de déconnexion peu parfois être mal vécu par le salarié. Ce dernier peut par exemple se sentir coupable de ne pas répondre rapidement aux sollicitations, ou penser que pour être bien vu par ses supérieurs ou ses collègues, il faut être réactif, etc. Et si cette « pression de la norme » est trop forte, alors certains de ces professionnels voudront s’y soustraire en renonçant à exercer leur droit à la déconnexion, même s’ils auraient aimé passer du temps avec leur famille.
Ensuite, il existe des professionnels qui voient au contraire un bénéfice direct à rester connectés : la course aux primes, le sentiment du travail bien fait, le besoin de reconnaissance sociale ou l’appât de la compétition par exemple, sont des motivations qui poussent le salarié à rester connecté. Il y a également ceux pour qui le métier est vécu comme une « passion » et qui trouvent plus d’intérêt à travailler plutôt qu’à faire autre chose (on rencontre plus volontiers ces profils parmi les professions libérales). Pour ces professionnels, il est donc difficile de « décrocher », et pour eux la question d’un droit à la déconnexion n’a plus lieu d’être puisque, en quelque sorte, ils préfèrent exercer leur « droit à la connexion ».
Enfin, il existe un dernier facteur qui peut lui aussi mettre à mal le libre arbitre du professionnel. Ce facteur est directement lié au mode de réception aléatoire de nos e-mails et est illustré dans ce film :
Bref, le salarié n’est pas vraiment libre de se déconnecter. Ce droit à la déconnexion, en se limitant à une analyse seulement juridique, ne permet donc pas d’améliorer efficacement la qualité de vie au travail. Il est nécessaire que la législation intègre aussi une analyse psychologique pour qu’elle réponde de façon encore plus juste aux besoins des professionnels.
Pour en savoir plus sur le droit à la déconnexion, je vous invite à cliquer ici.