Noël 2016 au balcon

SimplyPanda

J’erre dans un immense centre commercial de la région parisienne : Art de Vivre (horaires d’ouverture : 10h à 20h, 7 jours / 7). Il m’aura fallu environ 40 minutes pour trouver une place dans ce parking géant pouvant accueillir pourtant près de 1500 voitures. Par chance, des enceintes extérieures diffusaient en boucle un chef-d’oeuvre de Tino Rossi (Petit Papa Noël), de quoi apaiser ma nervosité. Mais tout le monde n’étant pas sensible aux qualités relaxantes des chants de Noël, j’ai pu voir ici et là quelques individus s’insulter et prêts à s’étriper pour trouver une place. C’est de bonne guerre.

Je suis d’attaque à utiliser 4 heures de mon temps précieux pour quêter un tas de cadeaux foireux qu’il faut offrir à chacun des membres de ma famille. Se ruiner au mois de décembre est une tradition culturo-religieuse bien ancrée en France.

La garantie Amazon

Cette année, les vendeurs de chez Boulanger se déplacent en Hoverboeard (299€99, premier prix). J’apprends que l’on peut dépenser jusqu’à 500€ pour une cafetière Nespresso, ce cadeau empoisonné vous obligeant à acheter des capsules en aluminium fabriquées par milliards et qu’il faudra en plus se faire chier à trier dans la bonne poubelle, dans le cas où l’on aurait un minimum de conscience écologique. A voir aussi cette année, tous ces casques de réalité virtuelle (de 29€99 à 449€) et ces drones à la con qui s’entassent par centaines (dès 59€).

Je continue à chiner. Même si je n’arrive pas à trouver toutes les merdes écrites sur ma liste de course (une crème bio anti-vieillissement, un casque de vélo noir mat taille enfant, une compilation de Jazz Manouche, ou encore ce best-seller « comment faire caca en altitude » de Kathleen Meyer, publié chez Montagne Editions), il sera encore temps d’aller sur Amazon.com qui garantie une livraison à domicile avant le 24 décembre.

Nous sommes toujours plus nombreux sur terre, et surtout plus pauvres. Peu importe, Art de Vivre a pris soin de sélectionner des biens dans toutes les fourchettes de prix. Ici, même les plus modestes d’entre nous peuvent s’offrir un semblant de caviar faisant parfaitement illusion, boire des litres de vins blanc qui moussent comme le champagne ou dévorer un bloc de foie de canard au goût tout-à-fait acceptable pour celui qui n’aurait encore jamais savouré des lobes de qualité. Pour jouir de ce luxe factice, on peux même signer un contrat de financement permettant d’échelonner nos paiements sur 3 mois sans frais.

L’obsolescence des poissons rouges

Les objets s’entassent autour de moi. Une chaîne de production inarrêtable, dans la mesure où le nombre d’humains ne cesse d’augmenter et que l’obsolescence de ces appareils n’est pas prête d’être déprogrammée. Ce grand gâchis organisé se déroule simultanément dans tous les autres centre commerciaux de la ville, dans toutes les villes de France et dans la plupart des pays du monde.

A priori, nous n’avons pas besoin de tous ces trucs relativement inutiles. Mais il n’est pas nécessaire qu’un produit soit utile pour que nous en ayons besoin. Notre dépendance aux choses est le fruit d’un apprentissage qui se met en place dès la naissance. Ce gamin de 8 ans ressort de chez Animalis avec sa mère, un poisson rouge à la main dans un sac en plastique rempli d’eau : « Maman, quand il sera mort, on pourra prendre un chien ? ».

Nous avons appris à fonctionner avec des objets sans importance. Aujourd’hui, ils donnent un sens à notre vie et sans eux, nous serions déprimés. Les téléphones portables ou le web en sont des exemples criants : petit à petit, nous nous sommes habitués aux avantages offerts par ces technologies, à tel point que la société ne pourrait s’en passer qu’au prix d’une réadaptation radicale, aux conséquences psychologiques et économiques certainement désastreuses.

Nous ne sommes pas programmés pour anticiper le futur

Pour satisfaire les besoins de milliards d’êtres humains, tous les centres commerciaux du monde entier débordent donc d’objets inutiles, mais desquels nous sommes devenus dépendants. Une telle accumulation devient alors indissociable de ses effets sur l’environnement et du réchauffement climatique.

Si nous n’avons pas vu venir cette auto-destruction bien entamée, c’est que ces conséquences écologiques mettent beaucoup trop de temps à se produire pour influencer efficacement nos comportements de consommation. Les comportements des êtres humains sont en effet sensibles aux conséquences à court terme. En psychologie, on dit que l’individu préfère un bénéfice moindre et plus proche dans le temps plutôt qu'un bénéfice plus important mais plus éloigné dans le temps : le bénéfice à court terme d’acheter une cafetière Nespresso est souvent préféré au bénéfice à long terme de ne pas s’étouffer sous des billiards de capsules non recyclées.

En cette fin d’année 2016, non loin d’Aix-en-Provence, mon thermomètre affiche une température de 15°C. Mon anxiété diminue, je me réjouis de pouvoir fêter Noël au balcon.