Je me promène dans les allées d’un des plus grands magasins Carrefour de France. Le rayon alimentaire est situé au rez-de-chaussée. Mini-foies gras et mini-pâtés en croûte. Mini-saucisses Jean Caby, mini-chèvres enroulés de jambon cru. Ah tiens, ils proposent aussi des mini-boudins blancs et des mini-gougères au fromage. Le rayon est rempli de mini-trucs spécialement conditionnés pour votre réveillon. Bien sûr, vous pouvez également trouver des denrées alimentaires dans un format plus familial. Tout ce qui pourrait vous satisfaire est là, en abondance, organisé sur trois étages.
Pour certains, les emplettes de fin d’année sont l’occasion d’une chouette sortie en famille ou une opportunité de se réunir autour d’un déjeuner dans une cafétéria Casino. Les frites y sont servies à volonté et le menu des enfants est accompagné d’un petit jeu à construire dans le pur style Kinder - les mômes se réjouissent d’un rien.
Mais pour d’autres, les escapades dans une grande surface à la veille de Noël sont un calvaire.
Je chine les têtes de gondole au facing impeccable. Les nombreuses promotions semblent ne s’adresser qu’à moi. Elles m’annoncent qu’en achetant ce saumon pêché au large de l’océan atlantique, et fumé au bois de hêtre, je ferais une excellente affaire. Les économies réalisées seront de toute façon réinvesties dans des jouets pour mes enfants disponibles au deuxième étage.
Parce que vous tenez à organiser un Noël qui vous ressemble, Carrefour a pris soin de sélectionner des biens pour tous les goûts et dans toutes les fourchettes de prix. Ici, même les plus modestes d’entre vous peuvent s’offrir un semblant de caviar faisant parfaitement illusion, boire des litres de vins blanc qui moussent comme le champagne ou dévorer un bloc de foie de canard tout à fait acceptable pour celui qui n’aurait encore jamais savouré des lobes de qualité. Pour jouir de ce luxe factice, n’hésitez pas à signer un contrat de financement permettant d’échelonner vos paiements sur 3 mois sans frais.
Début d’une réaction anxieuse
Il ne me fallait pas plus d’une simple balade dans cet immense supermarché pour déclencher une bouffée d’angoisse involontaire. Réfléchir aux rouages de la société de consommation provoque des réactions de stress que je ne contrôle pas. Mon cerveau active des associations d’idées noires qui s’enchaînent les unes aux autres et construisent peu à peu un scénario d’anticipation pessimiste et inévitable sur l’avenir de l’humanité.
132 millions de paquets cadeaux, plus de 2 millions de dindes et 10 000 bûches de Noël. 40 000 tonnes de chocolats, des usines qui fonctionnent à plein régime. En cette fin d’année, même La Poste travaille le dimanche. Probablement que ce grand gâchis organisé se déroule simultanément dans tous les autres magasins de la ville et dans toutes les villes de France.
Un appareil à hot-dog, un kit de préparation de sushi, un séchoir à pattes. L’iPad, l’iPad mini, l’iPad air. Des montres connectées, un doseur à spaghettis. L’iPad air 2, l’iPad mini 3, un coussin chauffant pour vos cervicales. Une lampe de luminothérapie, les iPhones 6 ou 6s, un diffuseur d’huiles essentielles et le livre « comment chier dans les bois » de Kathleen Meyer (chez Edimontagne). A priori, vous n’avez pas besoin de tous ces trucs relativement inutiles. Mais, il n’est pas nécessaire qu’un produit soit utile pour que vous en ayez besoin. Votre dépendance aux choses est le fruit d’un apprentissage, le résultat d’une interaction entre vos comportements et votre environnement. Vous avez appris à fonctionner avec des objets sans importance. Aujourd’hui, ils donnent un sens à votre vie et sans eux, vous seriez déprimé. Les téléphones portables ou le web en sont des exemples criants : petit à petit, vous vous êtes habitués aux avantages offerts par ces technologies, à tel point que la société ne pourrait s’en passer qu’au prix d’une réadaptation radicale, aux conséquences psychologiques et économiques certainement désastreuses.
Pour satisfaire les besoins de milliards d’êtres humains, les magasins Carrefour débordent donc d’objets inutiles, mais dont vous avez besoin. La société de consommation dans toute sa splendeur. Une telle accumulation devient alors indissociable de ses effets sur l’environnement et du réchauffement climatique. Le monde court à sa perte. Une auto-destruction bien entamée que nous n’avons pas vu venir. Nous sommes des animaux, des organismes vivants dont les comportements trouvent leurs bénéfices à court terme. Nous ne sommes pas programmés pour anticiper le futur.
En cette fin d'année 2015, aux alentours de Montpellier, mon thermomètre affiche une température de 15°C. Mon anxiété diminue, je me réjouis de pouvoir fêter Noël au balcon.