La cocaïne est une drogue dite "psychostimulante". Elle procure un effet d'euphorie pendant quelques instants, permet de résister à la fatigue et inhibe les barrières sociales. En illustration, voici un extrait du livre de Lolita Sene, C. La face noire de la blanche, paru le mois dernier aux éditions Laffont :
(…)
« La cocaïne jaillit dans mon nez, coule dans ma gorge, laissant derrière elle un goût de gomme. J’avale doucement son reste en fermant les yeux.
Il refait des lignes qu’on siffle aussitôt. On rit, on finit par s’embrasser. Il est tellement beau, tellement grand. Il refait des lignes, on s’embrasse encore. Je sens alors ma bouche s’anesthésier, mon regard se troubler, mon cœur battre plus vite. Ça y est, elle fait effet. J’avais oublié cette sensation. On discute, beaucoup, pour évacuer. Il faut bien avec la coke, c’est comme un marathon qui ne se termine jamais, à courir après les mots. Elle nous met sur la même station radio et on se comprend complètement. J’ai envie de l’épouser, qu’il m’embrasse toute la vie. « Tu es belle ! » La cocaïne nous ouvre le regard et toutes les couleurs deviennent plus précises.
Puis il est parti vider sa vessie. Sans trop réfléchir, je me suis levée. Aux vestiaires, j’ai récupéré mon manteau, avant de sauter dans un taxi avec une seule idée en tête : demain, je démissionne. »
(Extrait consultable sur le blog de l’auteure, « Moi, Juliette F. »)
Comment expliquer le plaisir lié à la consommation de cocaïne ?
- La dopamine : un acteur indispensable à la survie de l’espèce
Certains comportements sont indispensables à la survie d’une espèce. C’est le cas par exemple des comportements sexuels ou ceux qui permettent de s’alimenter : si les êtres humains cessaient de se reproduire ou de se nourrir, notre espèce finirait par disparaître.
Pour que ces comportements perdurent, le cerveau humain s’est doté de mécanismes neurobiologiques qui nous « poussent » à chercher et à maintenir ces comportements. Plus précisément, toutes les expériences sensorielles favorisant notre survie provoquent une libération de dopamine dans une région spécifique du cerveau (région dite de « récompense », qui gère les sensations de plaisir). La dopamine est un messager chimique qui permet à certaines cellules du cerveau ou neurones de communiquer entre elles. Lorsque les neurones à dopamine sont stimulés, l’expérience sensorielle est alors vécue comme agréable et les comportements correspondants sont mis en mémoire pour pouvoir être répétés. Cette « récompense » par la dopamine permet donc de motiver les comportements de survie.
- Le mécanisme d’action de la cocaïne dans le cerveau
C’est justement au niveau des neurones à dopamine que la cocaïne agit. Normalement, après la libération de dopamine, celle-ci est rapidement re-capturée et cesse de stimuler les neurones. Mais la cocaïne va pirater le système dopaminergique en empêchant cette re-capture. La dopamine continue alors à stimuler les neurones (jusqu’à 300 fois la normale), intensifiant et prolongeant l’euphorie chez le consommateur.
Le plaisir mène-t-il à la dépendance ?
L’état de dépendance se caractérise par un élan compulsif et incontrôlable pour obtenir et consommer la drogue, bien que le consommateur en connaisse les effets nocifs sur sa santé et sa vie sociale. La personne dépendante à la cocaïne ne peut donc pas s’arrêter, même si elle le souhaite.
On pourrait penser que c’est la surstimulation des neurones à dopamine, consécutive à la prise de drogue, qui amène le consommateur à entrer dans un état de dépendance au plaisir. Mais cela n’est vrai qu’en partie. En effet, contrairement au personnage du livre de Lolita Sene, il existe des usagers occasionnels de cocaïne qui ne deviennent jamais dépendants, c’est-à-dire qui consomment le produit uniquement de façon récréative et qui peuvent s’en passer pendant de longues périodes de temps.
Comment expliquer cette variabilité en fonction des individus ?
Ce n’est donc pas parce que la cocaïne déclenche du plaisir qu’elle devient forcément addictogène. Mais alors pourquoi certaines personnes sont plus vulnérables que d’autres à la dépendance ?
Le processus de dépendance fait intervenir deux autres molécules chimiques : la noradrénaline et la sérotonine. Ces neurotransmetteurs ont pour rôle de moduler les différentes informations sensorielles de l’environnement, de leur donner du sens pour que le consommateur puisse se comporter de façon « raisonnable » sans céder à l’impulsivité. C’est ainsi que le consommateur occasionnel, même s’il ressent les effets euphoriques de la cocaïne, gardera un certain contrôle de ses émotions. Il privilégiera certaines informations comme les conséquences à long terme de la prise du produit, il ne deviendra pas « accro ».
Au contraire, un dérèglement dans l’activation du couple noradrénaline/sérotonine empêche la maîtrise des émotions. Sans cette modulation, le consommateur qui se retrouve face à une situation de plaisir devient alors incapable de « canaliser » ses émotions liées à l’afflux de dopamine. Il ne peut plus contrôler son impulsivité, ses réactions ne sont plus modérées et il s'engage alors dans des comportements qui privilégient un bénéfice à court terme. Cette vulnérabilité individuelle dépendrait de l’histoire de chacun, de son environnement, de son patrimoine génétique. Nous ne sommes donc pas tous égaux face à la dépendance.
En conclusion, ces mécanismes neurobiologiques complexes suggèrent que l’addiction n’est pas un « choix » du consommateur. En quelque sorte, le consommateur dépendant est « esclave » de ses neurones, il perd le contrôle de ses comportements et il n’y a alors plus de libre-arbitre possible.
Sources :
Connolly, C. G., Foxe, J. J., Nierenberg, J., Shpaner, M. and Garavan, H. (2012). The neurobiology of cognitive control in successful cocaine abstinence. Drug and Alcohol Dependence, 121 (1-2) : 45-53.
Descamps, C. et Darcheville, J. C. (2009). Introduction aux neurosciences comportementales. Paris : Dunod.
Hanlon, C. A., Beveridge, T. J. R. and Porrino, L. J. (2013). Recovering from Cocaine : Insights from Clinical and Preclinical Investigations. Neuroscience and Behavioral, 37 : 2037-2046.