1937, Kansas City. Durant un concert de Jazz, le batteur Jo Jones balance une de ses cymbales en direction du saxophoniste Charlie Parker sous prétexte que ce dernier n’est pas dans le rythme. Humilié, Parker quitte la scène en jurant de devenir le meilleur. Quelques mois plus tard, après s’être tellement entraîné et surpassé, Charlie Parker a fini par devenir Bird, ce génie du Jazz mondialement connu.
C'est sur cette anecdote de la vie de Charlie Parker que repose en partie la thématique de « Whiplash », film de Damien Chazelle, encore en salle actuellement. Le film raconte en effet l’histoire d’un prestigieux professeur de musique qui tyrannise ses élèves dans l'objectif de faire naître parmi eux le nouveau Charlie Parker. Il est persuadé de l’efficacité de sa méthode qu’il justifie en prenant pour exemple l’histoire du saxophoniste virtuose.
Est-ce utile de martyriser ses élèves pour qu’ils se dépassent ?
Pour tenter de répondre à cette question, nous devons faire une analyse des différents comportements en jeu dans ce type d'interactions. En science du comportement, on appelle « punition » le fait qu’un musicien s’arrête de mal jouer après que son professeur lui ai crié dessus. Lorsque Charlie Parker a failli se prendre une cymbale en pleine tête, il a compris qu’il ne jouait pas correctement et n’a donc pas recommencé son erreur. Jusqu’ici, la procédure est assez simple à comprendre.
Les choses se compliquent lorsque l’objectif du professeur n’est plus seulement que ses élèves s’arrêtent de mal jouer, mais qu’ils se mettent en plus à bien jouer. Globalement, il s’agit pour l’élève de devenir meilleur en prévention de la tyrannie de son professeur. On appelle cela du « renforcement négatif », c’est-à-dire le fait que l’élève augmente ses comportements visant à jouer correctement pour ne pas se faire crier dessus. L’élève s’améliore donc car il est motivé à éviter des stimulations qu’il juge désagréables (les humiliations de son professeur par exemple). On dit que les bons comportements sont « renforcés » (ou augmentés).
Ainsi, Charlie Parker aurait donc augmenté ses compétences par « renforcement négatif », celui-ci ne supportant pas d’être humilié.
La tyrannie a ses limites
« Vous ne pensez pas qu’en évitant de justesse la cymbale envoyée par Jo Jones, Charlie Parker aurait pu au contraire se décourager ?
— Non, car les génies ne se découragent jamais ! ».
(Dialogue entre l’élève Neyman et Fletcher, son professeur de musique ; tiré du film « Whiplash »).
Malheureusement, martyriser ses élèves pour les pousser au-delà de leurs limites ne fonctionne pas toujours.
D’une part, les humiliations peuvent avoir des conséquences émotionnelles néfastes pour l’élève : il risque de s’opposer, voire de devenir agressif ou de s’engager dans d’autres mauvais comportements. Pire, il peut perdre tous ses moyens et être dans l’incapacité d’apprendre quoi que ce soit.
D’autre part, crier sur un élève lui enseignera peut-être ce qu’il ne doit pas faire, mais il n’est pas certain que cela lui apprenne les bons comportements ; il est encore moins garanti que cela le pousse au génie. Ainsi, pour que Parker ai pu devenir un virtuose, il a fallu qu’il sache comment bien jouer. Charlie Parker possédait donc déjà certainement les ressources nécessaires pour accéder au génie, ces comportements n’avaient ainsi plus qu’à être stimulés. Dans le cas contraire, il aurait d'abord fallu les lui apprendre !
Enfin, échapper à l’humiliation ou aux pressions sociales n’est pas nécessairement une source de motivation identique pour tout le monde ; certains élèves n’ont en effet que faire des pressions sociales.
Pour conclure
Il ne suffit donc pas d’être un tyran avec ses élves pour en faire des génies. Il faut surtout être conscient des limites d’une telle façon de faire et de ses effets indésirables sur les apprenants. Dans le cas d’une école de musique comme celle évoquée dans le film, cette réflexion sur les méthodes d’enseignement relève donc de considérations éthiques.
NB : Charlie Parker consommait régulièrement des drogues, notamment de l’héroïne. Cette addiction a très certainement dû interférer dans sa pratique de la musique. De nombreux jazzmen de son époque auraient d’ailleurs consommé à leur tour de l’héroïne, pensant qu’elle était responsable du génie de Parker.