Peut-on parler de "dépendance" aux séries télévisées ?

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Un ancien prof de chimie atteint d’un cancer se reconvertit en fabriquant de drogues pour payer ses soins médicaux (Breaking Bad).

À Chicago, une famille de 6 enfants est gérée par l’aînée de la fratrie. La mère, bipolaire, s’est évaporée. Le père est toujours là, mais il est alcoolique et gros magouilleur (Shameless).

Un serial killer a trouvé la combine parfaite pour assouvir ses pulsions en toute impunité : il travaille dans la police en tant qu’analyste des traces de sang, et ses « proies » sont d’autres tueurs dont il est très simple de masquer la disparition (Dexter).

Comment, avec de tels pitchs, les producteurs de séries TV ont-ils pu réussir à nous rendre « accros » ? (c’est le sujet développé ce mois-ci dans un dossier du Nouvel Observateur) :

  1. Une disponibilité accrue

Avec l’arrivée des DVD, du replay, de la VOD et bien sûr du téléchargement, nos séries deviennent disponibles sans attendre (certaines séries sont même accessibles entièrement dès leur première diffusion). On peut s’enchaîner tous les épisodes de toutes les saisons sans aucune restriction.

  1. Un format facilement consommable

La durée d’un épisode ne durant rarement plus d’une heure, on est plus volontiers tenté de se dire « bon, allez, un petit dernier ».

  1. On reste sur sa faim

Les scénarios de chaque épisode sont construits pour que la fin vous donne envie de dévorer la suite.

  1. Des produits de qualité

Enfin, les séries d’aujourd’hui n’ont plus grand-chose à voir avec ce qui se faisait dans les années 80. Leurs scénarios, le jeu des comédiens et la mise en scène n’ont rien à envier aux films de cinéma. Dans son enquête consacrée aux pratiques des séries télévisées, le sociologue Clément Combes légitime même le genre en employant le néologisme de « sériephilie », en analogie avec la passion du cinéma.

Mais peut-on réellement parler « d’addiction aux séries » ?

Officiellement, les systèmes actuels de classification des troubles en psychiatrie ne référencent pas de tels comportements. Aujourd’hui, les phénomènes de dépendance pathologique font principalement référence à des troubles liés à l’utilisation de substances, comme la cocaïne par exemple. Parmi les affections qui ne sont pas liées directement à la consommation d’un toxique, l’APA (American Pychiatric Association) ne reconnaît pour l’instant que le « jeu pathologique » comme diagnostic officiel (pratique inadaptée, persistante et répétée du jeu).

Néanmoins, une consommation inadaptée ou pathologique de séries TV pourrait être caractérisée par des conséquences socio-professionnelles et sanitaires importantes sur la vie des spectateurs : absentéisme au travail ou à l’école, isolement social, troubles du sommeil, ou encore réduction des comportements liées à l’hygiène ou à l’alimentation. L’arrêt d’une telle consommation serait également très difficile et, le cas échéant, risquerait d’entraîner chez le spectateur des troubles tels qu’un syndrome dépressif par exemple. Dans une esquisse de typologie, Clément Combes dresse un tel portrait de consommateur qu’il nomme le « sériphile-addict ». Celui-ci perdrait plus ou moins la maîtrise de sa consommation qui finirait par empiéter sur ses autres activités.

Mais globalement, les travaux en sciences sociales portant sur les séries TV et leur réception par le spectateur indiqueraient que « les téléspectateurs ne sont pas passifs devant leur poste et aliénés par ces programmes, mais en interaction complexe avec eux, entre identification et distanciation, crédulité et lucidité » (C. Combes, 2013). De plus, même si la consommation des séries TV peut relever d’un plaisir solitaire (comme la lecture) ou partagé avec des personnes intimes, elle permet également de faciliter les interactions sociales.