Vous roulez tranquillement sur l’autoroute, quand un véhicule vous double et se rabat juste devant vous très brutalement, et sans mettre son clignotant. Votre cœur s’accélère et vous avez le réflexe de freiner pour éviter l’accident. Vous êtes sorti d’affaire, mais vous ne pouvez pas vous empêcher de klaxonner frénétiquement et de crier vos meilleures insultes.
Devant les films Kill Bill ou Inglourious Basterds, vous jubilez quand Uma Thurman, alias Black Mamba arrache l’œil d’Elle Driver, ou quand Brad Pitt et ses potes explosent la tronche d’un nazi à coup de batte de baseball.
C’est là quelques exemples de situations de vengeance, thématique très présente dans notre société. Mais d’où vient exactement cette volonté parfois irrépressible de se venger ?
On pourrait se contenter de dire qu’il s’agit d’une réponse naturelle à une agression, « œil pour œil, dent pour dent », ou bien que cela nous soulage, ou encore que la vengeance nous permet de rétablir une certaine justice. Mais ces ébauches d’explications restent insuffisantes pour une bonne compréhension du phénomène. Essayons d’aller un peu plus loin…
Globalement, la vengeance est une réponse plus ou moins différée à un stimulus perçu comme déplaisant, aversif. Cette réponse est le plus souvent adressée à une personne, mais il arrive que l’on s’en prenne aussi à des objets : le jour où vous marcherez pied nu sur un Légo, il vous sera difficile de ne pas le jeter contre un mur.
Si ces comportements de vengeance se maintiennent, c’est que l’organisme y trouve un certain bénéfice. En réalité, ce bénéfice est le résultat d’une sélection naturelle : selon les espèces et les individus, des comportements aussi variés que la fuite, l’attaque ou l’immobilité ont été sélectionnés car ils permettaient de faire face à des stimulations aversives qui constituaient une menace pour notre intégrité physique. Ces comportements sont des réactions réflexes qui permettent d’assurer notre survie.
Les comportements de vengeance sont donc des comportements différés en réaction à une menace. Nous attaquons instinctivement la personne dont la conduite nous contrarie, au moins en la blâmant, désapprouvant, critiquant, ridiculisant, au plus en la frappant. Cette attaque a un effet immédiat pour notre « survie » et elle est donc suffisamment bénéfique pour expliquer sa persistance.
Les neurosciences comportementales nous permettent de mieux comprendre pourquoi cette vengeance est justement si gratifiante. Considérons l’arrivée d’une stimulation aversive (exemple, la voiture qui se rabat brutalement), puis la suppression de cette stimulation contraignante par l’émission d’un comportement (par exemple freiner, klaxonner, insulter). L’évitement de cette stimulation aversive est sous-tendu par des mécanismes neurobiologiques comme le montre cette expérience : des chercheurs ont soumis des rats à des chocs électriques. Une partie de ces rats avait ensuite la possibilité d’échapper à ces stimulations électriques. Les chercheurs ont alors constaté un accroissement du taux de dopamine seulement dans le noyau accumbens des rats qui avaient pu échapper aux chocs électriques (le noyau accumbens est un ensemble de neurones impliqué dans les mécanismes de récompense et de dépendance, et la dopamine est un neurotransmetteur qui favorise le désir). La libération de dopamine serait donc liée à l’arrêt des stimulations aversives et l’organisme serait en quelque sorte « récompensé » par la dopamine dès qu’il évite des situations déplaisantes. Cette « récompense » par la dopamine permet de motiver les comportements de survie : un comportement d’évitement entraîne la fin d’une stimulation déplaisante, ce qui active le système dopaminergique et libère de la dopamine.
La dopamine a donc pour effet d’encourager nos comportements de vengeance qui sont liés de près ou de loin à une notion de survie. Un tel mécanisme permet de mieux comprendre pourquoi parfois vous ne pouvez pas vous empêcher de ruminer des scénarii de vengeance quand votre patron ou votre meilleur(e) ami(e) vous a humilié(e) : l’élaboration de ces scénarii produit des décharges dopaminergiques qui maintiennent la rumination, un peu comme le ferait une drogue. Ce mécanisme permet aussi de comprendre pourquoi vous êtes si frustré lorsqu’au cinéma le héros n’est pas vengé comme il devrait l’être : cet état de « manque » est lié à un « besoin » de décharge de dopamine.
Sources :
Descamps, C. et Darcheville, J. C. (2009). Introduction aux neurosciences comportementales. Paris : Dunod.
Skinner, B. F. (2011). Science et comportement humain. Editions In-Press.