La honte des troubles mentaux

Vol au-dessus d'un nid de coucou (M. Forman)

Selon un rapport d’information de la mission parlementaire sur la santé mentale, le nombre de personnes atteintes d’un trouble mental en France serait en augmentation.

Actuellement, 18% de la population souffre d’un trouble mental et nous sommes 25% à être susceptible d’en développer au cours de notre vie. Ces dysfonctionnements sont même les plus fréquents, après le cancer et les maladies cardio-vasculaires. Ils sont également la première cause d’invalidité et d’arrêts maladie, et ils ont des répercussions économiques très importantes : les coûts collatéraux liés à la perte de production et la perte de qualité de vie atteindraient près de 80 milliards d’euros.

Au niveau mondial, l'OMS considère également que cinq des dix pathologies les plus préoccupantes au 21ème siècle relèvent de la psychiatrie : schizophrénie, troubles bipolaires, addictions, dépression et troubles obsessionnels compulsifs.

Alors non, vous n’êtes pas les seuls à souffrir d’un trouble mental. Pourtant, il est facile d’en avoir honte. Et c’est principalement parce que depuis plusieurs siècles, la « folie » s’est chargée d’une image négative. « Interné, asile, fou, débile, idiot, schizo, parano, imbécile, autiste ». Tous ces termes sont utilisés dans langage courant de manière péjorative et largement relayés dans les médias. À l’origine, le terme « idiotisme » était utilisé par la médecine pour désigner des personnes atteintes de retard mental, l’imbécillité étant le degré le plus léger de l’idiotie. Quant à la débilité, elle désignait les personnes victimes d’un défaut d’expérience éducative.

Tout commence vers le milieu du 17ème siècle où le monde de la « folie » devient le monde de l’exclusion. En Europe, on construit en effet des maisons d’internement qui accueillent les « fous » et les exclus sociaux qu’elles sanctionnent par le travail forcé. À la fin du 18ème siècle, on enchaîne encore les malades mentaux. Au 19ème siècle, on pratique les saignées en pensant que les troubles mentaux ont une origine organique, on fait vomir les malades pour les purger de leurs humeurs impures. Au 20ème siècle, la psychiatrie pratique la lobotomie, la stérilisation contrainte, les comas déclenchés par injection et enfin, l’Allemagne nazie extermine les malades mentaux.

Avec un tel héritage, on comprend mieux la culpabilité que peuvent ressentir les personnes atteintes d’un trouble mental : pas facile pour Valérie Trierweiler d’annoncer qu’elle est en institution psychiatrique pour soigner un trouble dépressif.

Aujourd’hui, les troubles mentaux sont souvent associés, à tort, à une faiblesse, à une perte de contrôle ou à des événements spectaculaires souvent médiatisés. À cause des préjugés entourant ces troubles, la souffrance des personnes est soigneusement cachée. Résultat : seulement une personne atteinte sur trois consulte un professionnel de la santé, alors que les troubles peuvent être soignés.

En ce début d’année, le collectif sur la santé mentale et les troubles psychiques est susceptible d’obtenir le label « Grande cause nationale », attribué par le Premier Ministre. Parmi ses missions, le collectif souhaite justement prévenir les stigmatisations, qui constituent à la fois les conséquences des troubles mentaux, mais aussi les facteurs de risque.

Il est en effet important de prendre des mesures pour lutter efficacement contre l’incompréhension et le jugement trop souvent porté sur les personnes et leur entourage.

Néanmoins, comme l’avait très bien décrit Michel Foucault1, dans un contexte d’exclusion, la « folie » a noué avec les culpabilités morales et sociales un cousinage qu’elle n’est pas prête de rompre. Et cette pratique d’exclusion est encore d’actualité, malgré le renforcement des droits du malade, et les efforts d’une politique de secteur psychiatrique (prise en charge en dehors des murs de l’hôpital). Reste aussi l’hospitalisation sans consentement qui prive la personne de liberté, dans les cas où son comportement est dangereux pour elle-même ou pour les autres.

L’institution psychiatrique a donc encore une réputation d’univers contraignant. Il faudra certainement encore beaucoup de temps pour déstigmatiser les troubles mentaux.

1. Foucault, M. (1976). Histoire de la folie à l'âge classique. Gallimard.

Sources :

- Plan Psychiatrie et Santé mentale 2011-2015

- Jaccard, R. (1997). La folie. PUF.