Le vinaigre balsamique traditionnel n’est pas un vinaigre…

Le “vrai” vinaigre balsamique est un produit en voie de disparition. Il représente aujourd’hui à peine 0,01% de la production de vinaigre dit “balsamique” en Italie. L’écrasante majorité de fabrication industrielle n’est qu’un “fake ” de l’essence originelle. Plongée au cœur d’une tradition rare et sublime avec Andréa Bozzecchi, producteur exemplaire.

Ils sont alignés comme les frères Dalton, du plus grand au plus petit. Dans la pénombre du grenier de “L’Acetaia San Giacomo”, ils sont une centaine de tonnelets à murir dans leurs flancs rebondis le moût de raisin cuit. Avec le temps, la réduction et l’évaporation favorisent une exceptionnelle concentration des arômes. Le balsamique prend alors une teinte d’ébène lustrée, une consistance de miel liquide.
Alignés sept par sept, les petits tonneaux forment une batterie. Chaque année, le précieux élixir voyage d’un pas, pour finir avec le temps, dans le plus petit. Au terme de ce cheminement, qui dure au minimum douze ans et peut allégrement dépasser les vingt-cinq, on ne prélève que 20% du contenu du barricot. “En moyenne, indique Andréa Bozzecchi, il faut 150 kilos de raisins pour obtenir 10 cc de balsamique.”

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Mais, au juste, quel est donc le procédé de fabrication qui mérite la Dénomination d’Origine Protégée (DOP) “vinaigre balsamique traditionnel” ? “Si chaque famille productrice de vinaigre a ses propres secrets de fabrication, souligne Andréa, on peut résumer le principe général à cette recette qui constitue l’idéal de production, la règle canonique si l’on peut dire : le vinaigre balsamique est obtenu par l’acidification, le mûrissement et le vieillissement du moût de raisin cuit dans des batteries de barils de capacités décroissantes et de bois de différentes essences. Mais les mots ne suffisent jamais à résumer une tradition, l’expérience et le savoir accumulés au fil des générations dans chaque famille sont déterminants.” Ce qui, bien sûr, signifie que chaque producteur a son style, sa vision du vinaigre balsamique, exactement comme un vigneron exprime un terroir et des cépages au travers d’une façon de travailler la vigne, de vinifier et d’élever ses vins.
Si le principe paraît simple, la réalisation est en revanche délicate. “Nous récoltons nos raisins quand ils sont à leur optimum de maturité pour avoir des jus très concentrés en parfums, explique Andréa. Puis, nous pressons les grappes pour obtenir un moût, qui est le jus de raisin additionné des peaux et des pépins. Ce moût est ensuite cuit dans des chaudrons à l’air libre. Toute la difficulté réside dans cette cuisson. Elle permet de réduire le jus et donc de concentrer les saveurs, mais elle risque également d’éliminer l’acidité naturelle du moût, or ce qui doit être préservé lors du vieillissement du balsamique, c’est justement cette acidité. L’objectif est d’obtenir un équilibre entre le sucré et l’acidité. Le vinaigre balsamique doit garder une certaine tension, il ne doit pas être pâteux, cette tension est préservée par les aspects acidulés de sa palette aromatique.”
Commence ensuite la lente maturation. Les producteurs les plus exigeants, comme à “L’Acetaia San Giacomo”, utilisent pour chacun des tonnelets de leurs batteries des bois d’essence différentes qui apportent leurs tannins, leurs épices, leurs parfums au balsamique : cerisier, genévrier, acacia, chêne, châtaignier, murier, frêne…
Autant de précautions que ne prennent en aucune façon les industriels du vinaigre balsamique, qui eux n’ont pas droit à la DOP “vinaigre balsamique traditionnel” mais à la seule Indication Géographique de Production (IGP). Pas de cuisson des moûts à l’air libre, pas de vieillissement dans des fûts de bois variés, mais adjonction de caramel pour présenter une coloration et une viscosité semblables à celle du véritable balsamique...
« Ça ressemble au balsamique, mais on est très loin de l’original, déplore Andréa. Il est un fait que ces industriels ont réalisé depuis trente ans de grands progrès dans leur entreprise d’imitation. Au départ, leurs produits étaient très mauvais, aujourd’hui, ils proposent quelque chose d’acceptable, que les connaisseurs ne peuvent absolument pas comparer au balsamique traditionnel, mais qui plaît au public. Le problème est que leur vinaigre coûte moins de deux euros pour 10 CC et que le nôtre vaut 25 à 50 fois plus cher… Les ventes se sont logiquement effondrées ! Nous ne sommes plus qu’une poignée de producteurs qui continuent par passion à perpétuer les façons de faire ancestrales. Economiquement, quand on ne représente que 0,01% du marché, on n’existe plus.”

Andréa Bozzecchi explique le cycle d'élaboration du balsamique traditionnel.

Andréa Bozzecchi explique le cycle d'élaboration du balsamique traditionnel.

Cette micro production est jalousement convoitée par les amoureux de l’élégance, par les gourmands exigeants, par les chefs cuisiniers aimantés par cet élixir précieux et ses trésors de saveurs où la noix, les épices, les fruits noirs, le cuir, le tabac et bien d’autres encore jouent sur un registre profond, d’une longueur en bouche étourdissante.
Avec quoi marier un vinaigre balsamique traditionnel : “Il faut concevoir que notre vinaigre balsamique n’est pas un vinaigre mais un condiment, insiste Andréa.” Pas de sauce salade, ce serait scélérat, mais des mariages subtils avec le vieux parmesan, juste quelques goutes sur des morceaux de fromage grossièrement émiettés offrent déjà un plaisir grandiose, mais on peut aussi le savourer avec des fruits, fraises et framboises, toujours quelques gouttes, mais également avec une glace crémeuse à la vanille, il est aussi possible de laquer en fin de cuisson une pièce de veau poêlée avec un léger trait de balsamique”.
Andréa nous confie cette recette fort simple…

Ricotta au balsamique 25 ans d’âge

Ingrédient pour 6 personnes
3 œufs entiers
200 gr de sucre glace
100 gr de ricotta fraiche
100 gr de poudre de cacao amer

Réalisation
Monter les œufs entiers avec le sucre glace, mélanger avec la ricotta et diviser l’appareil en deux. Dans une des deux moitiés, ajouter le cacao en poudre. Recouvrir un moule de papier de cuisson, verser dans le moule la préparation sans cacao, puis verser celle au cacao. Placer le tout pour 12 heures au congélateur. Démouler, couper en tranche et verser sur chaque tranche quelques traits de balsamique.

Adresse : Acetaia SAN GIACOMO - Strada Pennella, 1 - Novellara (RE) - Tél : 39 (0)522.651197 - web : http://www.acetaiasangiacomo.com/

Toutes les photos © Carla Capalbo