Jacques Tati et Jean-Luc Godard n’auraient sans doute jamais imaginé que leurs films donneraient un jour l’envie, à un jeune japonais, de devenir chef cuisinier en France. C’est pourtant ce qui a décidé de la destiné de Takao Takano, chef étoilé, installé depuis tout juste un an, jour pour jour, dans son nouveau restaurant du 6ème arrondissement lyonnais.
Takao faisait des études de droit. Son avenir était tout tracé : dossiers, prétoires, plaidoiries… “Il y a trois concours successifs au Japon pour être nommé avocat, précise Takao. J’ai réussi le premier examen, puis le second. Je n’ai jamais passé le troisième. Je n’y trouvais plus de sens. J’ai alors pris du recul pour analyser ma situation. ”
En chantant la Javanaise
Takao est comme ça, il sait prendre son temps, objectiver un état, prendre de la distance pour mieux s’orienter. “J’aimais beaucoup la culture française, reprend-il, son cinéma, Tati, Godard, sa musique, Gainsbourg, notamment. Je me suis mis à aimer sa cuisine. ”
Takao, en parfait autodidacte, entre dans le métier par le service en salle : “C’est de là que me vient ma passion pour les vignerons, le vin et les accords avec les mets, note Takao.” Un an plus tard, il débutait en cuisine : “J’avais 25 ans, c’est tard. ”
Alors Takao va mettre les bouchées doubles… Après deux années, il décide de venir en France : “J’ai lu que Nicolas Le Bec venait d’être désigné meilleur chef de l’année par Gault & Millau. J’ai décidé de le rencontrer et de lui demander de travailler avec lui, au culot. ” En 2002, Nicolas Le Bec est la star montante de la cuisine lyonnaise, étoilé à la “Cour des loges”, il devait quelque temps plus tard monter son propre établissement, sobrement appelé “Nicolas Le Bec”, et obtenir un second macaron.
Technique d’analyse…
“Je ne parlais pas français, j’avais déjeuné à la “Cour des loges” et j’ai demandé à rencontrer le chef. Il était dans sa cave où je l’ai rejoint. Très intimidé, j’ai récité les quelques phrases que j’avais apprises par cœur. ” Le Bec accepte de l’engager, commence alors un apprentissage éprouvant mais très formateur. Nicolas est un forcené du travail, une machine toujours en action. Dans ces années 2000, les projets s’accumulent autour du chef lyonnais, tout va à 100 à l’heure, il faut tenir le rythme. Takao sera à très bonne école : “J’étais complexé par mon manque de technique, avoue-t-il. M. Le Bec m’a tout de suite dit que ce n’était pas la chose la plus importante. L’essentiel est d’aimer les produits, de bien les choisir, de réaliser une belle cuisson et de savoir les assaisonner. C’est tout ! Je reste toujours sur cette ligne de conduite. La technique, on finit par l’acquérir avec l’expérience. Aujourd’hui, elle me permet d’évaluer un plat, de comprendre pourquoi il ne fonctionne pas. C’est un outil d’analyse, de diagnostic.”
L’art de l’épure
Devenu second de Nicolas Le Bec, Takao prit ensuite les rennes de l’établissement en tant que chef, tandis que Nicolas s’aventurait dangereusement dans de vastes projets, mais ceci est une autre histoire… Le Michelin décerna alors à Takao une de ses précieuses étoiles.
Depuis un an, le 12 avril dernier, le fan de Gainsbourg, Tati et compagnie est désormais chez lui et, suivant la voie de son maître, il a baptisé l’établissement de son propre nom “Takao Takano”.
En mars dernier, le Guide rouge lui offrait une nouvelle fois sa reconnaissance. “C’était l’objectif, résume Takao. Comme le dit Paul Bocuse : l’étoile, on peut faire sans, mais c’est mieux avec…” Il y développe une cuisine d’une grande élégance, une ligne claire, lisible et savoureuse : “Je pense toujours à Nicolas Le Bec, il arrivait à faire des choses merveilleuses avec une simple pomme de terre. La palette des ingrédients que nous pouvons utiliser est large. Il est facile d’ajouter, d’empiler les saveurs. Moi je ne souhaite dans mes assiettes qu’un produit central, une viande, un poisson, je l’assortis d’un légume et d’un assaisonnement, point. Mon travail au quotidien c’est : retirer, retirer, retirer…”
Le résultat est immédiat : des saveurs nettes, exprimées au plus vrai du produit, un travail sur la nudité, l’essence des choses. Ceci avec une grâce exquise comme en témoigne ces langoustines, cuites à la vapeur, escortées d’asperges blanches pochées à la minute, le tout bercé d’une crème légère à la bergamote. Un plat qui sonne juste, tendu et virgulé comme une calligraphie. Même sens de l’équanimité avec ce carré de cochon d’Auvergne, cuit entier, accompagné de pois nouveaux, de cébettes grillées, arrosé d’un jus simple et fumé, relevé de graines et de sauce moutarde. Ou encore pour ce ris de veau, petits pois, beurre d’estragon qui est notre petite tuerie du jour.
Adresse : 33, rue Malesherbes – 69006 Lyon – Tél : 04 82 31 43 39
Recette
Ris de veau, petits pois, beurre d’estragon
Ingrédients pour 4 personnes
4 portions de ris de veau de 120 gr chacune
120 gr de petits pois frais écossés
80 gr de beurre
80 gr d’estragon frais
50 gr de poudre de noisette
4 cuillères à soupe de fond de volaille
Réalisation
Cuire les petits pois à l’eau bouillante salée pendant trois minutes. Les refroidir immédiatement dans de l’eau glacée, essentiel pour arrêter la cuisson et fixer les couleurs. Réserver.
Réaliser un beurre d’estragon en mélangeant 80 grammes de beurre avec 80 grammes de feuilles d’estragon cisellées.
Avec la moitié de ce beurre, faire un crumble en mélangeant le beurre d’estragon et la poudre de noisette, ajouter une pincée de sel.
Cuire les ris de veau à la poêle. Verser de l’huile dans une poêle, attendre qu’elle soit fumante, puis saisir les noix de ris de veau. Bien les colorer pendant deux minutes. Retirer du feu, laisser la température baisser et ajouter une belle quantité de beurre, remettre sur le feu, veiller à ce que le beurre ne brûle pas et arroser sans cesse les noix pendant huit minutes sur toutes leurs faces. Réserver au chaud.
Réaliser une purée de petits pois en mixant la moitié d’entre eux, monter en température la purée obtenue. Réchauffer doucement au beurre le restant de petits pois, veiller à ne pas les recuire.
Chauffer le jus de volaille et les 40 grammes de beurre d’estragon restants.
Dressage
Au fond de l’assiette, placer un rond de purée de petits pois, ajouter des petits pois al dente, parsemer de crumble au beurre d’estragon, déposer ensuite le ris de veau et napper avec le jus de volaille émulsionné avec le reste de beurre d’estragon.