David Akpamagbo fait du beurre comme personne n’ose en faire. Un beurre exceptionnel, sans doute le meilleur de Bretagne et donc du monde. Mais au-delà, c’est tout une économie et un rapport à l’environnement qu’il souhaite redéfinir.
Quand on a en poche un diplôme d’HEC et que l’on vit en pleine cambrousse bretonne une aventure laitière, qui pour le moment ne rapporte pas un sou vaillant, il y a deux explications possibles : soit on se cache de la justice, soit on a une vision.
Dans le cas de David Akpamagbo, la deuxième option est la bonne. Pour cerner rapidement le personnage, il faut savoir que David est petit-fils de paysans bretons et que les cours d’HEC le plongeaient dans un grande perplexité. Ça n’explique rien, mais c’est un début.
“Mes grands-parents avaient une ferme à Commana, pas loin de Sizun, dans les Monts d’Arrèe, se souvient-il. J’y passais toutes mes vacances. Je suis profondément marqué par cette enfance terrienne. J’ai des souvenirs intenses de la cuisine de ma grand-mère. Elle préparait des choses simples avec ce que l’on produisait sur la ferme, tout avait un goût exceptionnel, que je ne retrouve plus nulle part. C’est avec le souvenir de ces saveurs que je fais mon beurre, que je propose aussi des viandes de bœuf, de veau, d’agneau et, bientôt, des poulets de race Coucou de Rennes. ”
Entre ses vacances, David poursuit de brillantes études, pourtant en cours d’économie et de commerce à HEC, il coince… “J’étais dans des angoisses assez fortes. Je me demandais ce que j’allais pouvoir faire après mes études. Et j’ai eu le déclic lors d’un cours sur le luxe, sur l’économie du luxe. Je me suis dit que j’allais transposer à l’agroalimentaire les principes de cette industrie. ”
Une traite par jour
Depuis maintenant près de cinq années, David produit du beurre, dans sa laiterie atelier du Ponclet (prononcez Ponclette, à la bretonne…). Un beurre exceptionnel, de grand luxe, effectivement. On le trouve sur des tables triplement étoilées et chez les meilleurs fromagers de Paris et de Bretagne. Un simple regard sur la texture et vous êtes renseigné : vous n’avez jamais vu un beurre aussi homogène et pourtant ductile, sans aucun aspect huileux, sans eau non plus qui vient perler à la surface. Un beurre sec, si l’on peut dire… et cependant, infiniment moelleux. En bouche les saveurs sont amples, profondes, la chaleur du foin, la vivacité des herbes printanières, une note pâtissière, de petits fruits secs… Un registre de cantatrice, quand il commence à chanter dans la poêle pour une coloration noisette.
Mon beurre redessine les paysages de Bretagne
Alors pourquoi ? Pourquoi lui et pas les autres ? Comment se fait-il que les autres beurres n’aient pas la moitié de ces saveurs ? Tout d’abord, David a sélectionné des troupeaux auprès de quelques producteurs de la région. Des personnes attachées à une très haute qualité environnementale, pourrait-on dire. Le terme bio n’est plus qu’une vague approximation de qualité pour eux. Les races sont déterminantes : de la Jersiaise, de la Guernesey, de l’Armoricaine, parfois croisées, qui produisent des laits chargés de grosses molécules de gras. Ensuite, ces troupeaux paissent dans des prairies naturelles et non pas enherbées artificiellement de Ray-Grass et de trèfle. « Nous avons des sols pauvres dans les Monts d’Arrée, indique David, le Ray-Grass et le trèfle ne permettent pas de bien nourrir les animaux. Les espèces que nous avons choisies avec les éleveurs sont très paturantes, elles se débrouillent avec ce que leur donne la nature. » Avantage, la diversité florale communique ses arômes au lait : « Finalement, faire le beurre tel que je l’imagine participe à une redéfinition des espaces naturels, il redessine les paysages avec des prairies naturelles, avec une flore retrouvée, souligne David. »
L’ardent du beurre
Donc, David Akpamagbo dispose de lait très gras et très parfumé. Ensuite, une seule traite est réalisée quotidiennement pour garder l’intensité et la concentration des matières et des goûts (dans l’industrie, la traite est pratiquée quatre fois par jour). Le lait, encore chaud, est immédiatement écrémé. C’est avec cette crème que le beurre est confectionné. Pour 9 kilos de beurre, il faut compter 150 litres de lait ! C’est peu. Reste donc une grande quantité de lait écrémé : « Avec ça, je nourris des animaux, sourit David. C’est un menu luxueux pour eux. » Les jeunes veaux ainsi que les poules Coucou de Rennes bénéficient de ce régime. Là encore, les grandes tables font main basse sur le trésor.
Deux salariés sont employés par David, qui lui ne se paie pas : “Ça viendra en son temps, pour le moment il faut pérenniser la production, la fiabiliser. Il est facile de faire une fois un beurre exceptionnel, répéter l’exercice chaque jour est en revanche très compliqué.”
L’argent du beurre viendra plus tard… La passion ardente, elle, est bien là !
Adresses : site de la ferme du Ponclet www.leponclet.fr
Où trouver le beurre du Ponclet ?
A Paris : Fromagerie Laurent Dubois - 47 boulevard Saint-Germain –Tél : 01 43 54 50 93 ; 2 rue de Lourmel- Tél : 01 45 78 70 58 ; 97 rue Saint-Antoine - Tél :01 48 87 17 10.
Fromagerie Barthélemy : 51, rue de Grenelle, 75007.
En Bretagne : Fromagerie Sten Marc sur les marchés de Daoulas, le dimanche, du Conquet et de Brest Kerinou le mardi, à Landivisiau le mercredi ; le jeudi à Plougastel, le vendredi à Landernau, Brest Lambezellec et le samedi à Saint Renan et Morlaix.