Les chefs ont parfois de drôles de façons d’associer la carpe et le lapin, de sauter du coq à l’âne, bref de marier deux improbables amoureux. L’union de la tête de veau et du homard est un exemple majuscule. Ont-ils, à la manière des surréalistes, mis bout à bout des libellés de recettes, pour en faire une sorte de cadavre exquis ? Est-ce une inspiration gratuite, par pure joie de l’invention ? Que nenni, voici trois histoires de badineries entre une tête de veau normande et un homard breton, qui ne doivent rien au hasard. Ou presque…
Comment cette idée baroque, il y a du Don Quichotte et du Sancho Panza dans cet attelage, vient-elle aux chefs ? La première piste est lyonnaise. Christian Têtedoie, cuisinier étoilé, reçu un jour trente kilos de homards canadiens : « Il y a quelques années, j’avais été choisi par un organisme de ce pays pour assurer la promotion du crustacé. Mais trente kilos d’un seul coup, je ne m’y attendais pas. Il se trouve que j’avais en cuisine plusieurs têtes de veau roulées. L’idée d’assembler ces deux produits si opposés dans leurs saveurs, dans leurs textures et, je dirais, dans leurs statuts, s’est pourtant imposée naturellement. J’ai pour l’occasion réalisée une sauce jus de carotte/ jus de homard, qui reste l’une de mes plus abouties». Aujourd’hui encore, ce plat est un grand classique de la carte du restaurant Christian Têtedoie.
La seconde est bretonne. Patrick Jeffroy, double étoilé, a également tenté l’expérience. A l’origine de son inspiration : une fête locale. Par le passé, à Morlaix, étaient disputées des courses de chevaux. Un banquet clôturait la journée et, immanquablement, la tête de veau était servie aux convives. En souvenir de cette tradition, le cuisinier de Carantec eu l’idée d’une de ses recettes terre-mer qu’il affectionne, en rapprochant le homard de la baie de Morlaix et la fameuse tête de veau. Par ailleurs, pour vous dire que Patrick Jeffroy est un récidiviste, il marie également la hure de porc et le bulot, la langoustine, la pétoncle et le fois gras, la sardine et le fromage frais. Un site de rencontres à lui tout seul…
Enfin, à Paris, c’est un jeune alsacien, Lionel Flury, qui poursuit l’aventure. Il propose en entrée un « Homard, langue et tête veau, vinaigrette truffée. » Son origine alsacienne n’est pas pour rien dans l’idée de cette association. « Nous avons une grande spécialité : le Presskopf, rappelle-t-il. Une sorte de fromage de tête. De mon apprentissage, j’avais gardé le souvenir d’une recette où une queue du homard était placée au centre de la terrine. La découpe révélait sa présence. C’est de là que j’ai imaginé réaliser un pressé de tête et de langue de veau, détaillées en petits cubes pris dans la gelée de cuisson, posé sur une simple purée de pomme de terre, elle-même recouvrant des médaillons de homard. » Là encore la sauce, ou plutôt l’assaisonnement, lie admirablement les deux saveurs. Il s’agit d’une vinaigrette montée à la moutarde, parfumée à la truffe et à l’huile de truffe. L’équilibre est parfait les différentes saveurs sont judicieusement ajustées.
Trois chemins différents qui aboutissent à une même idée. Rien de gratuit donc dans cette association “picaresque”, simplement une histoire de sensibilité…
Les adresses
Le Quinze – 8, rue Nicolas Charlet – 75015 Paris – Tél : 01 42 19 08 59.
Restaurant Patrick Jeffroy – 20, rue du Kelenn – 29660 Carantec – Tél : 02 98 67 00 47.
Restaurant Christian Têtedoie – Montée du chemin neuf – 69005 – Lyon – Tél : 04 81 68 02 19.