Gérard Bossé : cuisine sans dépendances !

C’est la fin de l’été sur les bords de la Loire, à Béhuard, sur une île du fleuve. Assis sous une tonnelle accotée à une ruelle. Quelques passants, quelques touristes et des voix qui viennent vers la tonnelle : “Ici, avant, il y avait un restaurant. Il paraît que le chef en avait marre, il a ouvert un fast-food à Angers. ” “Il paraît que le chef et sa femme ont divorcé…” On entend bien des choses sous les tonnelles. Le départ de Gérard Bossé et de sa femme Catherine a gentiment alimenté les conversations ces temps derniers.
Aujourd’hui, Gérard Bossé est cuisinier sur les bords de la Maine. A Angers exactement, dans le quartier de la gare. Une localisation qui est un choix, un vrai. Auparavant, il mitonnait ses sandres, ses brochets et ses anguilles d’avalaison, dans l’île de la Loire, avec le fleuve au bout de son jardin. Un endroit de charme comme l’on dit dans les guides, d’ailleurs il y avait obtenu une Etoile Michelin.
« Ce fut la surprise totale, je n’avais pas développé de stratégie particulière pour l’avoir. Pire j’avais pris quelque temps auparavant la décision de quitter “Les tonnelles”, explique-t-il. J’avais envie d’autre chose. Le cadre rustique campagnard commençait à me lasser un peu, mais l’Etoile changeait évidemment la donne. » Ce n’était plus le moment de bouger, les clients allaient arriver en nombre.

“Les Etoiles c’est comme du LSD”

« Et puis, reprend Gérard, les Etoiles constituent un monde à part. Avant d’en avoir une, on sait que ce monde existe, il paraît lointain. Mais quand on y entre, c’est très violent. C’est comme du LSD, on devient vite accro. Nous les chefs, nous avons quand même des mégas égos, alors quand on perd l’Etoile, ça fait tout drôle… »
C’est pourtant ce que Gérard Bossé a risqué délibérément il y a trois ans : « Je savais qu’en m’installant à Angers, dans une nouvelle structure, j’allais automatiquement quitter le guide rouge. Je savais aussi que les débuts allaient certainement être difficiles. Je ne me doutais pas à quel point. »
Aux abords de la gare, Gérard et Catherine Bossé choisissent un vieux café de quartier, qu’ils vont entièrement relooker, design contemporain, magnifique éclairage. Une ambiance qui, sans être “branchée”, adopte des codes que les angevins vont avoir un peu de mal à décrypter : “En fait, soupire Gérard, ils n’ont pas adhéré du tout. Ils étaient très désorientés. On leur a proposé un cadre qui aurait facilement trouvé sa place dans n’importe quel arrondissement parisien, mais ici ce n’était pas le genre de beauté qui convenait…
La première année fut longue à passer, longue et angoissante. “Heureusement, on a retrouvé notre Etoile au Michelin dès la saison suivante, souffle Gérard. Il était temps. » Les clients sont revenus progressivement et ont pu constater que les fondamentaux de la cuisine qu’ils avaient aimé à Béhuard étaient restés les mêmes à Angers. « On a baptisé notre restaurant “Une île” souligne Gérard, c’était tout de même une manière de signaler que nous restions les mêmes, même équipe, mêmes fournisseurs, mêmes principes !

“Les locavores sont des réactionnaires déguisés!”

Les principes, Gérard Bossé n’en manque pas. « Je n’ai rien changé, car j’ai toujours fait la cuisine dont j’étais fier. Si tu fais à manger pour les autres, alors tu finis toujours par faire du marketing. Mon ambition, c’est la saison ! Point barre. Et quand tu n’es pas un surdoué de la technique, la seule solution pour être reconnu, c’est de choisir des produits au top. » Gérard sait choisir ses fournisseurs, il sait aussi les préserver. Quand son pêcheur de Loire est venu le voir pour la première fois, il y a maintenant des années, Gérard lui a dit : « Tes prix sont trop bas. Je vais te payer ton poisson plus cher car je veux que tu puisses en vivre. Sinon, tu vas mettre la clef sous la porte et je n’aurai plus de poissons. » C’est la logique “bosséenne”… et s’il privilégie les produits de sa région, il regarde avec défiance les bons apôtres du “locavore” : “Ce sont des réactionnaires déguisés. Ils ont tellement peu de culture qu’ils ne savent pas qu’ils appartiennent à une culture mondiale. Que les pommes de terre viennent des Andes, comme les tomates, que la cuisine n’est qu’un immense métissage. Avant de faire des études de cuisine, il faudrait faire des études d’histoire. Oui je fais du beurre blanc, oui je travaille avec des épices, parfois même avec du safran cultivé en Maine-et-Loire, on peut être local et mondial à la fois. Tous les produits sont les bienvenus dans ma cuisine, tous sauf les adjuvants, les E quelque chose… Les produits artificiels et le racisme ne peuvent pas rentrer chez moi.

“Je ne sais pas faire compliqué”

Avant d’être cuisinier, Gérard Bossé était animateur socioculturel. Il a gardé de cette époque (il y a plus de trente ans) une grande nostalgie pour ce que l’on appelait alors les terres d’aventures : “C’était un dispositif simple et souple qui mettait en présence des jeunes et des adultes. C’était un lieu d’écoute informel et c’est quand même ce qui a donné les meilleurs résultats en terme de médiation.” Quand Gérard s’est éloigné de l’animation socioculturelle, il a décidé de devenir cuisinier : « J’aime les situations extrêmes, je voulais vraiment savoir si j’étais capable de faire un métier aussi dur que celui-là.” Après un temps de formation, Gérard s’est lancé, il y a maintenant 29 ans. “Aujourd’hui, après l’épisode du départ de Béhuard, de l’arrivée compliquée à Angers, nous avons retrouvé une stabilité et une vraie confiance en nous. Je dis nous pour Catherine et moi.”
Quand on l’interroge sur son style de cuisine, Gérard répond qu’il construit des assiettes à l’image des vins qu’il aime : « Je pense aux équilibres de mon assiette comme aux équilibres d’un vin, avec de la longueur, de l’opulence, avec des goûts bien identifiés et de la gourmandise, juste assez pour avoir envie d’en reprendre. Quand tu réussis trois assiettes comme ça, et bien te voilà avec un menu ! » Ce qui est bien avec le vin, c’est qu’il se bonifie en vieillissant, et Gérard Bossé aussi…

Restaurant Une île – 9, rue Max Richard – 49 100 Angers – Tél : 02 41 19 14 48.