Il faut reconnaître à la république en marche un vrai talent : celui de gâcher les bonnes idées. Dernier exemple en date, la volonté bouffonne de taxer "les biens de luxe" comme les yachts, les grosses voitures ou les chevaux de course. Outre que cela va lourdement pénaliser certains secteurs et régions déjà en difficultés, cela ne va rien rapporter aux finances publiques, ne fournir aucun avantage économique, et compliquer encore un peu la fiscalité française. Tout cela pour une opération de communication "nous ne sommes pas le parti des riches" qui ne convaincra personne : difficile de faire plus crétin.
C'est d'autant plus dommage que la consommation ostentatoire est un vrai problème qui appelle une vraie réforme ambitieuse : remplacer l'impôt sur le revenu par un impôt progressif sur la consommation.
L'impôt progressif sur la consommation? kézaco?
Le principe est simple. L'impôt sur la consommation ressemble à l'impôt sur le revenu, à d'importantes différences près. Chaque année, les gens déclarent leurs revenus (comme pour l'impôt sur le revenu actuel), mais aussi tout l'argent qu'ils ont épargné : leurs dépôts nets sur des comptes rémunérés, leurs achats de titres, etc. La différence entre leurs revenus et leur épargne est alors la consommation taxable : on calcule alors l'impôt par tranches, par exemple 0 impôt sur les premiers 10 000 euros consommés, puis 10% entre 10 et 20 000, puis 20% pour la tranche supérieure, etc. (ces taux et seuils sont indicatifs, et ne servent que d'exemple).
Avec cet exemple, supposons deux individus qui gagnent 25 000 euros par an. Le premier épargne 10 000 euros, le second épargne 2000 euros. Le premier va alors payer 500 € d'impôt sur la consommation (0%x10 000 + 10%x5000) et le second va payer 1600€ d'impôt (0%x10 000 + 10%x10 000 + 20%x3 000). Cet impôt incite donc à épargner, et dissuade de consommer : plus on épargne moins on paie d'impôt. On peut appliquer des taux très élevés pour les tranches les plus hautes, pour les riches qui dépensent énormément, comme un taux de 80% à partir d'un million d'euros de consommation par exemple. Cet impôt fonctionne donc comme l'impôt sur le revenu progressif, simplement, il ne porte pas sur l'épargne des contribuables, seulement leur consommation.
Ce n'est pas une proposition inédite : des économistes de tout bord s'y sont interessés, de Milton friedman à Robert Frank, qui en est aujourd'hui le principal défenseur.
Quel est l'intérêt?
L'intérêt, c'est de dissuader la consommation ostentatoire et d'inciter les gens à épargner. Il y a un vrai problème de consommation ostentatoire, mais le présenter comme "les riches qui achètent des yachts" est trompeur, car le problème de consommation ostentatoire porte sur les gens dont nous sommes proches.
Le problème de consommation ostentatoire, c'est lorsque je vois mon voisin acheter une voiture chère, qui me donne l'impression que la mienne est dépréciée. Ce sont les parents d'élèves de l'école de mes enfants qui dépensent des sommes considérables pour l'anniversaire de leur progéniture, ce qui conduit mes enfants à implorer "et moi, pourquoi vous ne me payez pas une belle fête"? Ce sont les amis qui se paient une cérémonie de mariage coûtant des dizaines de milliers d'euros, donnant à tous leurs amis l'idée qu'il faut en faire autant. Ce sont les parents qui offrent un smartphone et des vêtements de marque à leurs ados, donnant l'impression aux miens qu'ils sont des moins que rien s'ils n'ont pas cela aussi, etc, etc. Et cela se passe à tous les niveaux de revenu. Cela vaut aussi pour les riches, qui vont faire la course au plus grand yacht ou à la fête d'anniversaire la plus décadente.
Cette course à l'imitation des pairs est une catastrophe. Elle nous conduit à dépenser des sommes considérables simplement pour "rester comme les autres". Les achats que nous faisons à cette occasion ne nous apportent pas de satisfaction, n'accroissent pas notre bien-être. En contrepartie de ces achats nous nous mettons dans une situation financière périlleuse : le crédit à la consommation, la dette des ménages, sont un énorme risque individuel et une source majeure d'instabilité économique.
Si tout le monde voit sa consommation taxée et la réduit simultanément sur les biens "positionnels" (c'est à dire ceux qu'on n'achète que pour se comparer aux autres) personne ne voit son bien-être diminuer : au lieu de faire des mariages à 8 000 €, on ne dépensera que 5 000 € et on sera tout aussi heureux. Peut-être même plus heureux : rappelons que plus on dépense pour son mariage, plus on risque de divorcer.
En incitant les gens à épargner, on les conduit à réduire les risques qu'ils courent; par ailleurs si l'objectif de la fiscalité est d'inciter les riches à investir plutôt que de faire trop de dépenses ostentatoires, l'impôt progressif sur la consommation en est un bon moyen.
Il ne risque pas d'y avoir des niches fiscales? des moyens d'échapper à l'impôt?
Si le principe de cet impôt est simple, la réalisation est plus complexe. Si certaines formes d'épargne sont faciles à identifier, d'autres sont plus ambigues. Cela pose par exemple la question de l'achat immobilier qui comprend une part de consommation et d'épargne. La solution idéale serait d'ajouter au revenu dans le calcul un loyer fictif correspondant à la valeur d'usage du bien immobilier et de considérer les remboursements d'emprunt immobilier comme une épargne. A défaut, on peut compter comme épargne le remboursement du capital des emprunts immobiliers, et les intérêts comme consommation.
D'autres biens posent problème car ils sont à la fois consommation et placement. L'achat d'un lingot d'or pourrait être considéré comme épargne, celui de bijoux comme consommation; il faudrait aussi décider du statut des d'oeuvres d'art, des donations caritatives, des voitures de collection etc. Idéalement l'assiette définissant la consommation devrait être la plus large possible. Ajoutons que les riches qui font des donations à des fondations à leur nom (ou un club de foot) pour satisfaire leur vanité et s'acheter une gloire éternelle ne devraient pas bénéficier d'un traitement préférentiel.
Mais ce genre de détail devrait être le résultat de décisions politiques. L'impôt sur la consommation peut être utilisé pour la politique fiscale et être ajusté par les parlementaires. Cela conduira forcément à des dérives, des niches fiscales contestables, mais c'est le destin de tous les impôts. L'impôt sur la consommation n'est pas pire que d'autres impôts de ce point de vue, tout en ayant des qualités dont sont dépourvus les autres formes d'impôts.
Cela ne risque-t-il pas d'être injuste? et de ruiner l'économie si personne n'achète rien?
Pas dans ce cas-là, puisque pour préserver les pauvres il suffit de créer une tranche à 0% pour la consommation indispensable, par exemple les 10 ou 20 000 premiers euros consommés. Dès lors l'effet inégalitaire de la TVA n'est plus présent. On dira qu'avec cet impôt les riches paieront moins, mais pour payer moins ils seront obligés d'épargner! s'ils tentent de dépenser leur argent ils seront alors fortement taxés. Par ailleurs cet impôt ne fait que remplacer l'impôt sur le revenu : il est tout à fait possible de l'accompagner d'autres impôts portant sur d'autres assiettes. On peut maintenir la TVA, créer un fort impôt sur les successions, sur le patrimoine, bref, cet impôt n'est qu'une composante de la fiscalité, meilleur que les autres car il taxe une activité indésirable, la consommation excessive.
Quant à l'argument de "ruiner l'économie", il faudrait cesser de s'imaginer que "l'économie" est une espèce de chose distincte des gens et des sociétés qui la composent, qui manifesterait des désirs spécifiques et qui en particulier, a besoin de consommateurs avides qui font "tourner la machine". Premièrement, le keynésianisme ne signifie pas "il faut consommer sinon l'économie s'effondre" : le keynésianisme implique que dans certaines circonstances, l'investissement des entreprises est trop bas et que l'on peut essayer de corriger cela via la dépense publique ou la politique monétaire. Ce n'est pas un appel à la boulimie permanente, et Keynes était lui-même très hostile à la course permanente à la consommation.
Par ailleurs l'impôt progressif sur la consommation serait plus efficace comme instrument pour les politiques keynésiennes. Lors de sa mise en place il n'aurait pour effet que de déplacer la demande globale, de la consommation vers l'investissement (ce qui est souhaitable). Si jamais l'économie connaît une crise, baisser le taux de l'impôt sur la consommation serait plus efficace que les baisses d'impôt sur le revenu : pour bénéficier de la baisse d'impôt il serait nécessaire de dépenser immédiatement, ce qui relancerait tout de suite la demande.
La situation d'aujourd'hui, ce sont des gens qui atteignent l'âge de la retraite avec un patrimoine insuffisant; de larges pans de la population qui n'épargnent pas assez; des inégalités croissantes avec des riches qui consacrent de plus en plus de leur richesse à des activités socialement peu utiles, comme des consommations ostentatoires ou pire, les dépenses pour influencer le processus politique Ils ont grand besoin d'être incités à investir.
Le monde d'aujourd'hui ce sont aussi des gens qui sont malheureux et aigris, pris dans une course sans fin pour imiter le niveau de consommation de leur entourage et n'en retirer aucune satisfaction. Et c'est aussi un risque non négligeable de voir notre consommation future sérieusement réduite si les dégradations de l'environnement deviennent trop importantes. Nous avons besoin de réapprendre des valeurs comme la retenue, l'épargne et la sobriété que trop de confort nous ont fait oublier.